Wols, de son vrai nom Wolf Schulze, qu’une standardiste un jour a écorché, est né à Berlin, comme Unica Zürn (voir d’Land 16/20), en 1913, à trois ans de distance. Comme elle, mais une vingtaine d’années plus tôt, au début des années trente, il s’en va à Paris, dans une voiture où il emporte tout un équipement photographique. Destin allemand, il y en eut tant d’autres, qui ont fui le nazisme, se sont retrouvés dans les camps où l’on mit ceux qu’on prit pour des apatrides, ont eu tant de mal à se retrouver dans la vie, n’y ont pas réussi, et cela finit trop souvent par le suicide, ou la mort plus lente, non moins radicale, dans l’addiction. Wols est mort à 38 ans, à Paris. Et comme si la réclusion lui collait à la peau, voici son exposition Histoires naturelles, au Centre Pompidou, momentanément fermée ; elle était prévue initialement jusqu’au 18 mai, il faut souhaiter qu’elle soit prolongée, le plus longtemps possible.
Depuis la mort de son père, plus rien ne pouvait retenir Wolf Schulze à Berlin ; ce qu’il en retint, son banjo, l’enseignement musical qu’il avait eu, et dès l’âge de onze ans, on lui avait fait cadeau de son premier appareil photographique. Et dès 1933, il décide de ne plus remettre les pieds dans son pays natal. Quitte à se condamner à l’errance, après Paris, c’est l’Espagne, et la prison déjà, puis le retour en France où ses amis comme Fernand Léger lui permettent d’avoir un permis de séjour. Et Wols y impose son talent, avec ses photos justement, du Pavillon de l’Élégance et de la Parure, de l’Exposition internationale de 1937.
Le décor y est surréaliste, des fois comme sorti d’un Chirico, et les silhouettes des mannequins ont des gestes qui disent la surprise, l’effroi. Wols put faire des cartes postales, elles assurèrent le succès, les photographies passèrent dans des dessins, l’exposition du Centre dont les deux premières sections (sur cinq) s’intitulent : piéger, transmuer, saisit cette mutation, nous invite à la confrontation, des deux côtés se trouve vérifié ce qui restera toujours au centre de la création de Wols, comme son credo, qui veut que « l’insaisissable pénètre tout ».
Des photographies, des dessins, des peintures, mais l’œuvre de Wols est réduit en nombre. Des peintures, il n’en fit qu’après la guerre. Avant, ce fut le repli à Dieulefit, dans la Drôme, et sans atelier, c’est couché dans son lit qu’il trace avec minutie ses dessins, accumulant les entrelacs de ses microcosmes. Dans une lettre à Camille Bryen, en 1953, Gréty Wols, sa compagne, son épouse, précisera qu’il peignait (vers la fin de sa vie) de préférence la nuit, à la lumière d’une ampoule de 25 watts suspendue au plafond.
Troisième section de l’exposition : concentrer, et c’est chose vraie à tous les égards. Une fois que Wols s’est éloigné des paysages plus ou moins fantastiques qui le rattachaient encore à Klee, il ramène le dessin au centre, et c’est là, avec plus ou moins de déploiement, que les traits font surgir et vivre un univers. Wols est ainsi l’artiste, ses dessins le moment où les deux infinis pascaliens se rejoignent, s’entremêlent ; lui-même disant qu’« une toute petite feuille peut contenir le monde ». Cela prend forme, unité, mais c’est les traits qu’il faut suivre, qu’il faut traquer, comment ils se prolongent, se rejoignent, s’adjoignent, s’opposent ; il est là un art à découvrir dans son travail.
Après les dessins, encres, aquarelles, gouaches, où une quatrième section suit le mouvement opposé : décomposer, après la guerre, ayant à sa disposition le matériel nécessaire, Wols se met à la peinture, dite à l’huile, selon lui. Avec son épaisseur, ses tonalités nouvelles, dans l’exposition, c’est intitulé : éclabousser ; ça palpite dans telle toile, prise entre le vert et le rouge, qui atteint maintenant des dimensions, inhabituelles, de 145 sur 130 cm, ça éclate de tous les côtés dans telle autre, encore du vert, et du rose plutôt cette fois-ci, comme un cœur dans un battement trop violent, ça s’appelle l’Inachevée. La peinture date d’août 1951, un empoisonnement alimentaire emporte Wols le 1er septembre. On le rattachera à l’abstraction lyrique, à l’art informel, au tachisme, il y échappe, « Wols a tout pulvérisé… après Wols tout est à refaire », disait Georges Mathieu.