Théâtre

Des gamineries, mais pas que...

d'Lëtzebuerger Land du 12.10.2018

Le Théâtre du Centaure renouvelle ses défis chaque saison, et l’ouverture de celle-ci ne déroge pas à la règle. En effet, si le seul en scène est un exercice qui y est régulièrement exploité, il est avec Sales gosses réinventé et utilisé au profit d’un texte intelligent et accessible, choisi pour parler aux adultes comme aux adolescents. Affichée « à partir de douze ans » et mise en scène par Fabio Godinho, cette nouvelle création gagne sans problème le pari de parler d’un sujet dur, celui du harcèlement à l’école, à un public plus large sans transiger avec les exigences de mise en scène qui font le succès du Centaure.

Le contexte est celui d’une histoire vraie, dans la Roumanie post-Ceausescu : une petite fille a été ligotée par sa maîtresse puis par les autres élèves, avant d’être agressée physiquement. Ici, elle est rêveuse, n’aime pas franchement l’école et préfère fabriquer des bracelets et autres petits animaux avec des élastiques, objets d’obsession. Elle aimerait en être faite d’ailleurs, d’élastique, pour rebondir le plus loin possible de ce quotidien qu’elle abhorre et qu’elle décrit à sa façon originale. Mais problème : l’ennui et l’incompréhension vont passer, auprès d’une enseignante stricte et vieille école pour de l’arrogance et de l’insubordination, amenant celle-ci à ligoter son élève avec ses propres élastiques...

Le drame aurait pu s’arrêter là sans trop de séquelles, mais c’est l’escalade : en exhibant sa punition aux yeux de toute l’école, la maîtresse valide l’action auprès des camarades de la pauvre moquée qui vont s’en donner à cœur joie et maltraiter celle qu’ils ne comprennent pas. Fière, elle encaissera des coups et des humiliations auxquels aucune fille de son âge ne devrait avoir à faire face... Si la culpabilité de l’après drame se fait ressentir, les adultes continueront cependant à imposer leurs choix à la jeune écolière, condamnée à vivre seule sa différence.

Pour incarner avec beaucoup de naturel le personnage central de cette histoire, Eugénie Anselin n’est pas vraiment seule en scène : elle est accompagnée de Jorge de Moura et de sa batterie qui transcrit en musique les exploits heureux et malheureux de la petite fille. Tantôt la caisse claire rythme une escapade ludique, tantôt les cymbales claquent dans une cacophonie qui donne un corps sonore criant de vérité aux sentiments d’oppression éprouvés par la victime lors du harcèlement de ses divers bourreaux. Et lorsque les coups pleuvent, racontés un à un par celle qui les reçoit, et que la tension dramatique devient lourde et triste, le musicien entonne une petite chanson à texte qui tombe à pic, détendant d’un coup l’atmosphère. Ce duo inédit donne ainsi une version originale du texte de Mihaela Michailov, un texte relativement moins fort, mais justement choisi par Myriam Muller pour pouvoir s’adresser au jeune public et aux scolaires.

Pour sa première mise en scène au Centaure, Fabio Godinho s’est entouré de son frère Marco pour la scénographie et d’Antoine Colla, le Monsieur Loyal des lieux, pour les lumières. En utilisant un astucieux système de cordes et de poids, le metteur en scène permet de structurer l’espace et de le faire évoluer au gré des discours. Eugénie Anselin incarne en effet tous les personnages de l’histoire : les enfants, la maîtresse, la mère, la directrice et bien évidemment la jeune fille folle d’élastiques, un personnage principal qui va particulièrement bien à l’énergique interprète. Le tout donne une création réussie et pertinente, qui fait bien d’aborder ce sujet douloureux, toujours sous-estimé, mais on ne peut plus actuel à l’heure des réseaux sociaux omniprésents et du cyber-harcèlement.

Sales gosses de Mihaela Michailov, traduit en français par Alexandra Lazarescou, mis en scène par Fabio Godinho, assisté par Antoine Colla ; scénographie et costumes : Marco Godinho ; avec Eungénie Anselin et Jorge de Moura, sera encore joué au Théâtre du Centaure les 12, 13, 14, 17, 18, 19, 21, 23, 24 octobre 2018 et au Cape Ettelbruck les 17 et 18 janvier 2019 ; www.theatrecentaure.lu.

Fabien Rodrigues
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