Dépensez, dépensez, dépensez ! Même Lucien Weiler, le président de fraction du CSV, le dit. S'il vous faut encore d'autres arguments... La logique est simple : pour relancer la machine économique, quoi de plus simple que d'acheter une nouvelle voiture, ce qui rendra tout dépensier votre garagiste, qui passera plus de pub à la radio alors que le constructeur du véhicule nécessitera davantage d'acier d'Arcelor, de capteurs d'IEE et de pare-brise de Guardian, ce qui provoquera la création de nouveaux emplois, fera de nouveaux clients pour les supermarchés, etc.
Le meilleur appel de pied pour déclencher cette merveilleuse avalanche s'appelle taux d'intérêt. La Banque centrale européenne (BCE) a fait du sien. D'octobre 2000 à juin 2003, le principal taux de référence de la zone euro est tombé de 4,75 à 2,0 pour cent. C'est le niveau le plus bas depuis la création de l'euro début 1999.
Tout est donc en place pour profiter, emprunter et consommer ou investir. Tout ou presque : alors que les taux baissent, les banques luxembourgeoises ont durci leurs critères d'octroi de crédits. C'est ce qui ressort de la dernière « enquête trimestrielle sur la distribution du crédit bancaire » réalisée par la Banque centrale du Luxembourg (BCL). Elle analyse les activités et attentes des sept principales banques actives sur le marché local. Sans trop spéculer, on peut y deviner la Spuerkeess, la BGL, Dexia-Bil, la Raiffeisen, ING, la Banque de Luxembourg et la KBL.
Alors que la demande pour des crédits augmente, les banques se posent davantage de questions sur leurs clients. L'état de l'économie en général, avec ses conséquences sur la santé des entreprises et la stabilité de l'emploi des particuliers, se retrouve à la base de leurs hésitations. S'y ajoute que les taux bas attirent les clients, mais que les institutions de crédits s'inquiètent de la capacité des débiteurs de rembourser des mensualités plus élevées une fois que les taux seront remontés.
Un secteur inquiète les banques en particulier : l'immobilier. En ce qui concerne les immeubles administratifs, le marché s'est retourné de manière suffisamment dramatique pour qu'une banque soulève expressément dans l'enquête un durcissement significatif de ses critères d'octroi de crédits en la matière. Mais le marché du logement résidentiel n'est pas pour autant jugé à toute épreuve. Les banques estiment le niveau de prix actuel élevé. Il y a dans leurs yeux un risque de financer aujourd'hui des acquisitions d'objets immobiliers dont la valeur pourrait demain retomber.
Ces inquiétudes ne changent rien au fait que les taux d'intérêt avantageux offerts pour l'instant font leur effet. Le volume des crédits hypothécaires octroyés aux ménages atteint des niveaux records. Au deuxième trimestre de cette année, les banques locales ont accordé 984 millions d'euros sous forme de crédits immobiliers à des particuliers et entreprises au Luxembourg. Jamais depuis que ces statistiques sont compilées, ce chiffre n'a été dépassé. C'est d'ailleurs vrai aussi bien pour les constructions résidentielles que pour les immeubles administratifs.
Plus de deux tiers de cette somme sont imputables aux logements. Sur dix ans, de 1993 à 2003, le volume des crédits s'est multiplié par 2,6. Il y a donc en premier lieu un élément structurel. Mais le niveau des taux d'intérêt joue aussi son rôle. Du second semestre 2000, quand la BCE a commencé à réduire les taux directeurs, jusqu'au premier semestre 2003, le volume des crédits hypothécaires aux ménages a augmenté de soixante pour cent. Les trois années précédantes, de 1997 à 2000, période de taux d'intérêt plutôt stables, la progression n'affichait « que » 39 pour cent.
La baisse des taux vaut d'ailleurs la peine. La BCL publie depuis le début de l'année chaque mois un taux hypothécaire qui représente la moyenne (pondérée avec les volumes) des taux auxquels les nouveaux crédits ont été octroyés par les banques au Luxembourg. Si ce chiffre ne présente pas une référence absolue, il permet néanmoins au client d'avoir un ordre de grandeur pour négocier ou renégocier son contrat avec sa banque. De 1997 à 2000 (l'enquête n'était encore que trimestrielle), le « prix » des emprunts variait de 5,25 à 5,98 pour cent avec un plus bas de 4,50 pour cent. Depuis début 2001, le taux est passé de 5,98 à 3,75 pour cent en juin 2003, le niveau le plus bas jamais enregistré, à l'exception du mois d'avril dernier. De quoi faire réfléchir les locataires. L'arrivée de nouveaux acheteurs augmente cependant la demande sur un marché déjà surchauffé et pousse dès lors les prix encore plus vers le haut.
Les taux sont certes bas. Mais sans l'euro, sans le boulet allemand, sans les Italiens et autres Espagnols, ne pourraient-t-ils pas être plus bas encore pour les bourgeois de luxe ? Non, répond la BCL. Elle a appliqué une même grille d'analyse, la règle de Taylor, à l'eurozone et à l'économie luxembourgeoise. Selon cette étude1, l'écart entre le taux de la BCE et celui préconisé par la règle de Taylor pour le Luxembourg évolue depuis fin 1999 dans un intervalle de 70 points de base (0,70 points de pour cent), la plupart du temps en faveur du Luxembourg. Au début 1999, l'écart était même encore plus favorable. Sans l'euro, les taux d'intérêt seraient donc plus élevés au Grand-Duché qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Quand il s'agit d'obtenir un crédit, entreprises et particuliers ne sont pas logés à la même enseigne par les banques. Le durcissement des critères touche surtout les sociétés. Quatre banques sur sept annoncent d'y regarder de plus près et estiment qu'elles maintiendront cette position plus stricte.
Pour les particuliers, la BCL différencie entre les prêts (à moyen terme) à la consommation et les crédits à l'habitat (à long terme). S'il s'agit d'acheter une voiture, des meubles ou un nouveau téléviseur, les instituts financiers se montrent plutôt larges. Une seule banque indiquait en juin avoir revu ses exigences à la hausse alors qu'en mars, une banque annonçait même relâcher un peu la garde. Pour acquérir un logement, c'est déjà autre chose puisque deux banques sur sept appliquent des critères plus sévères.
Ce durcissement ne se traduit pas nécessairement par un simple refus du dossier en cas d'un risque jugé trop élevé par un établissement financier. Les banques ont des moyens plus subtils pour assurer leurs arrières. Le principal est bien sûr le prix : plus un client est considéré à risque, plus le taux d'intérêt qu'on lui offrira, et donc la marge de la banque, sera élevé. C'est classique. L'institut de crédit peut aussi exiger davantage de garanties ? certaines banques indiquent attendre des apports propres plus élevés pour l'acquisition d'un logement ?, insérer des clauses spéciales dans le contrat ou encore exiger un remboursement plus rapide.
Si les banques revoient leurs exigences vers le haut, c'est aussi parce que le marché est en pleine expansion. Que ce soient les entreprises ou les ménages, la demande de crédits, aussi bien observée qu'anticipée, pointe vers le haut. Cette situation pourrait toutefois se retourner. L'enquête de confiance de la BCL auprès des consommateurs pique du nez dans sa dernier mouture, qui date de juillet. Les clients potentiels se montrent tout à coup bien plus frileux, que ce soit pour l'achat d'une voiture ou l'acquisition d'un logement, alors que ces valeurs avaient fait montre d'une grande stabilité au cours des derniers mois. La volonté de rénover ou d'investir dans son logement est par contre en forte hausse. Ces indicateurs devront sans doute encore être confirmés par les prochaines enquêtes.
Tiraillé entre le crédit bon marché et ses doutes quant à l'évolution économique, le consommateur luxembourgeois se montre donc indécis. Les doutes de sa banque ne devraient cependant pas le freiner. Comme le montre l'affaire des tarifs des virements, même dans les métiers supposés nobles de la banque, il n'y a rien de tel que de faire jouer la concurrence.