Finance

Pour une euthanasie des fonds vautours

d'Lëtzebuerger Land du 22.12.2017

Si le monde étrange de la finance dérégulée devait être scénarisé sous la forme d’un western, les « bad guys » seraient sans doute représentés par les fonds vautours. Ils agissent dans l’ombre, mais les conséquences de leurs actions concernent des millions de personnes, et pas uniquement dans les pays dits « en voie de développement ». Très actifs depuis de nombreuses années dans le rachat à bas prix des obligations d’états de pays émergents ou très endettés, les fonds vautours ont récemment diversifié leurs activités dans des secteurs économiques où la financiarisation est très développée dont l’immobilier et le football européen. Il serait temps de s’occuper de ces créanciers rapaces en soutenant les initiatives visant à restreindre leur capacité de nuire, comme la Belgique l’a fait en 2015.

Autant les vautours sont des charognards utiles, prévenant via leur action de nettoyage de carcasses d’animaux la propagation d’épidémies dans un écosystème, autant on peut raisonnablement douter de la plus-value que les fonds vautours (parfois pudiquement appelés fonds « activistes ») apportent à l’économie dans son ensemble. Rappelons que ces acteurs particuliers du monde de l’investissement appartiennent à la catégorie des hedge funds, et que leur modus operandi consiste principalement à cibler le rachat de dettes sur le marché secondaire, sorte de « marché d’occasion » où se vendent et se rachètent les vieilles dettes décotées.

Leur cible initiale était surtout des obligations de pays dit en voie de développement ou très endettés, obligations rachetées à un tarif bradé (entre dix et cinquante pour cent de leur valeur nominale). Ces « investisseurs » particuliers adaptent ensuite une stratégie agressive utilisant tous les stratagèmes possibles et imaginables (y compris le recours aux tribunaux) pour se faire rembourser leur créance à la valeur nominale (incluant souvent en bonus le remboursement des frais d’avocats qu’ils ont engagés), réalisant de fait des profits démentiels. Selon un rapport récent de l’ONU1, « les taux de recouvrement des fonds vautours représentent en moyenne trois à vingt fois leur investissement, ce qui équivaut à des rendements de 300 à 2 000 pour cent  » !

Cette rente obscène est ponctionnée sur les finances publiques des pays déjà bien mal en point, et les pots cassés sont évidemment payés cash par les populations de ces pays endettés qui sont ainsi spoliés de finances publiques pour l’éducation, la santé etc. Ces créanciers perturbent également les négociations sur les restructurations de la dette. En effet, à quoi bon négocier de tels plans visant à réviser à la baisse la dette à rembourser si d’autres créanciers (minoritaires) se font rembourser à la valeur nominale celle-ci ? Leur comportement a, par exemple, largement déteint sur la BCE qui a reconnu avoir accumulé 7,8 milliards d’euros de profits grâce aux titres grecs que la BCE a achetés au cours des années 2010-2012 dans le cadre du programme SMP.

Les fonds vautours se sont diversifiés dans leurs investissements au-delà des pays très endettés. Ils sont par exemples très actifs en Irlande ou ils ont largement investi le marché des dettes privées de nombreux résidents irlandais. Rappelons que l’Irlande fait partie des pays les plus financiarisés en Europe, qui a subi le plus violemment les conséquences du krach de 2008. Une grande partie de la dette privée irlandaise a ainsi pu être rachetée par ces fonds vautours. Ces quatre dernières années, une poignée de ces fonds ont acquis pour 223 milliards d’euros de prêts, partout en Europe. Aujourd’hui ce ne sont pas moins de 100 000 foyers irlandais qui sont menacés d’éviction et la colère monte dans le pays. En Espagne, la situation est encore pire puisque ce sont les locataires sociaux qui ont subi les attaques des vautours : jusqu’à 1 860 logements sociaux de location ont été achetés par Blackstone à l’Entreprise municipale du logement et du sol de Madrid pour 127,5 millions d’euros. Les conséquences de la gestion vautour pour les locataires ne se sont pas fait attendre : hausse des prix de location, conditions abusives, procédés arbitraires et expulsions qui frappent sans discriminer.

Tout est bon à dépecer, même les neuf autoroutes à péage construites sous l’ère Aznar, aujourd’hui en faillite. Quatre vautours (Taconic, Kingstreet, Strategic Value et Atlestor) ont récupéré la plus grande partie de leur dette financière, qui atteint près de six milliards d’euros –  y compris celle qui est entre les mains de banques comme Deutsche Bank, JP Morgan, Goldman Sachs ou Bankia et des concessionnaires –, et prétendent que le gouvernement en assume le coût. Les fonds ont passé contrat avec la firme spécialisée Houlihan Lokey, connue pour son intervention auprès de Lehman Brothers ou Abengoa.

Enfin, et cela n’est pas si anecdotique que cela, les fonds vautours ont aussi investi dans le milieu du football européen. C’est ainsi que le Milan AC est menacé par le fonds vautour Elliot management. Celui-ci est intervenu dans le cadre du rachat du club par un groupe chinois à son ancien propriétaire, Silvio Berlusconi, en octroyant un prêt de 300 millions d’euros assorti d’une clause de prise de contrôle du club si la dette n’est pas remboursée en octobre 2018. Plus proche de nous, l’hebdomadaire France Football écrit que l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois Gérard Lopez aurait racheté le LOSC (le club de football de Lille) toujours via le fonds Elliott Management

Les propriétaires de ces fonds vautours sont évidemment de richissimes individus, majoritairement anglo-saxons. Paul Singer, le propriétaire de Elliot Management est un des soutiens de Trump. Il a été récemment mis en lumière dans le cadre des « Paradise Papers » confirmant ainsi que ses agissements sont largement facilités par l’usage des paradis fiscaux. C’est ainsi que Kensington International Ltd, une filiale de Elliott Management domiciliée aux iles Caïmans, avait acheté pour 57 millions de dollars de dettes du Congo-Brazzaville après avoir emprunté de l’argent dans les années 1980. La dette devait être remboursée à un taux d’intérêt de huit pour cent : une bonne affaire tant que l’entreprise pourrait finalement récupérer l’argent.

Kensington a obtenu une décision d’un tribunal de Londres en 2003, qui a porté le montant de la dette du Congo-Brazzaville à environ cent millions de dollars. Lorsque le gouvernement de Denis Sassou Nguesso n’a pas payé, Kensington a poursuivi l’affaire dans les îles Vierges britanniques. Les représentants du gouvernement de la République du Congo ont accusé la compagnie de Singer de se cacher derrière une petite filiale offshore pour se protéger des critiques de sa poursuite incessante de l’une des nations les plus pauvres du monde.

Le pouvoir de prédation est cependant remis en question depuis 2015 par une loi votée en Belgique visant à « empêcher les spéculateurs de recevoir plus que ce qu’ils ont payé pour racheter les créances litigieuses ». Deux ans plus tard, la Belgique n’en a pas fini avec ces prédateurs de la finance puisque sa loi, pourtant soutenue par l’ONU est aujourd’hui menacée. NML Capital, un fonds vautour enregistré dans les îles Caïmans et dirigé, lui aussi, par l’incontournable Paul Singer, a introduit un recours devant la Cour constitutionnelle belge pour la faire annuler… démontrant ainsi que la loi est perçue comme une menace réelle par ces créanciers mercenaires. Il revient donc à tous les gouvernements qui ne manquent pas de vilipender la finance sans conscience de soutenir cette loi et d’interdire à de tels prédateurs d’exercer sur leur territoire.

Plus d’informations sur les fonds vautours sur le site du CADTM www.cadtm.org

1 Nations-Unies, Rapport du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, 20 juillet 2016,
33e session, document n° A/HRC/33/54

Jean-Sébastien Zippert
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