Questions de point de vue

Une séance d’analyse d’images pour former une séquence cohérente
Photo: Jan Guth
d'Lëtzebuerger Land du 11.04.2025

Dans une obscurité quasi-totale, un verre d’eau éclairé par une lampe trône au centre d’une table recouverte de satin bleu. Autour de cette installation digne d’un spectacle d’illusionnisme, il n’y a pas un seul magicien, mais plusieurs : les membres du Photo-club d’Esch-sur-Alzette, venus participer à un atelier de photo créative. Paul Wadlé, vice-président de l’association, dirige l’événement en toute décontraction. Il a apporté de petits objets, des miroirs, des colorants pour permettre aux participants de jouer avec les reflets, les ombres et les nuances. Outre les ateliers ayant lieu les vendredis soir, des temps de formation et d’échange ou des vernissages se tiennent au sous-sol du n°1 place de la Résistance. Des sorties en ville ou en pleine nature sont également organisées. « Nos membres font du documentaire, des paysages, des portraits, des choses plus ou moins complexes. Ce sont tous des amateurs enthousiastes », décrit Jan Guth, le président. L’une des plus anciennes sociétés photographiques du Luxembourg, fondée en 1919, s’est longtemps consacrée à l’Histoire de la ville et de la région des Terres rouges. Elle aborde désormais les sujets les plus divers, notamment au sein de son espace d’exposition, dans les locaux du club. Actuellement, c’est la Moselle luxembourgeoise qui est à l’honneur ; mais on a pu aussi y admirer, en 2023, l’exposition War and peace, en collaboration avec des photographes de guerre et une artiste réfugiée de Kiev.

Outre la galerie, le photo-club comporte un studio tout équipé avec des éclairages, des imprimantes haute définition, des ordinateurs, un écran géant... mais pas de chambre noire, qui a été cédée à un autre club. « Le numérique a pris le pas, explique Paul. On aimerait transformer cette pièce en espace de post-production pour le digital ». Ce vendredi, plusieurs membres ne se sont même pas encombrés de leur appareil, amenant simplement leur smartphone. C’est le cas de Frank Schroeder, l’un des responsables de l’association. Bien qu’il loue les capacités techniques de ces nouveaux appareils que tout le monde trimbale dans sa poche, il aime aussi varier les plaisirs : il s’est servi d’une technique ancienne remise au goût du jour, l’Instax, pour réaliser une fresque documentant son trajet quotidien vers son lieu de travail. Celle-ci a été montrée au Salon des auteurs, l’exposition annuelle du photo-club au Escher Theater voisin. « On vient pour s’amuser mais aussi pour apprendre, sortir de sa zone de confort, indique-t-il. C’est important de motiver les gens à progresser, à mener des projets sur le long terme... et partager ses photos ici, ça a plus de valeur que sur Instagram ! ».

Éliane est venue pour cela : sans regard extérieur, on ne s’améliore pas, explique-t-elle. Pour cette retraitée du secteur social qui s’est mise à la photographie il y a un an, l’appareil photo est devenu « un compagnon : je voyage souvent, avec lui je me sens moins seule, raconte-t-elle. La technique n’est pas si importante, ce qui est passionnant c’est d’apprendre à observer les choses différemment : dans les rues que je parcoure depuis des années, je repère des détails que je n’avais jamais remarqué auparavant ». À ses côtés, Marcel préfère « quand c’est compliqué » : il est l’auteur d’un panoramique de plus d’un mètre de long exposé dans l’entrée, réalisé à partir de dizaines de clichés. « Ça fait cinquante ans que je fais de la photo, aujourd’hui ma chambre noire c’est l’ordinateur : je suis passé directement de la diapositive au numérique ! » précise-t-il.

Lors de cette soirée où l’on croise essentiellement des retraités, tout le monde est heureux de la présence de Linnet, une étudiante venue de Jamaïque, où elle aimait faire des portraits de son entourage. « Heureusement qu’elle est là... » me glisse un participant. Comme de nombreuses associations, le photo-club cherche à conquérir de nouveaux membres ; surtout des bénévoles capables d’animer la vie de l’association. L’atelier « photo créative » a attiré un curieux, qui s’amuse à jouer les assistants ; comme Linnet, il ne parle que l’anglais mais peut compter sur d’autres pour jouer les interprètes. « On se met de plus en plus à privilégier l’anglais : même si ça en fait râler certains, il faut que l’on s’adapte aux évolutions de la société luxembourgeoise », indique Frank. De l’argentique au smartphone, du luxembourgeois à l’anglais... au Photo-club d’Esch-sur-Alzette comme ailleurs, changer de point de vue est un exercice qui se pratique collectivement.

Benjamin Bottemer
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