Avec son exposition solo Paintings, Eric Chenal livre un travail d’artiste accompli. Entamé avec White
Inside #1 au Casino-Luxembourg et ses photographies du chantier de la rénovation de l’aile Wiltheim au Musée national d’histoire et d’art. Peut-être fallait-il plusieurs facteurs réunis pour arriver, de la part d’un « photographe qui cherche la lumière », à ce travail de plasticien accompli. Aussi faut-il saluer d’emblée le moteur qu’est Alex Reding, qui, dans le cas de Chenal, a non seulement semé la petite graine pour un travail ultérieur, mais a quasiment été le déclencheur instantané à la carte blanche de la présente exposition dans l’espace Projects de la galerie du Fëschmart.
L’autre élément essentiel est la rencontre du photographe avec l’héliograveuse Fanny Boucher. La jeune femme, qui est la dernière artisan d’art à travailler le procédé technique de l’héliogravure, invita Eric Chenal à l’accompagner cette année au Japon pour suivre son intervention sur une armure de samouraï. On rappellera au passage que les dernières publications héliogravées de la part de photographes remontent aux années 1950 par le photographe américain Paul Strand, et plus près de nous, avec le français Willy Ronis en 1994.
Ces conditions étant réunies, on assiste de la part de Chenal à une expression rare de photographie abstraite ou à un exercice d’art plastique par un photographe. Un diptyque représente des formes à la fois fluides et rappelant néanmoins la géométrie primaire (on n’oublie pas l’amour d’Alex Reding pour les expressions architecturées), montre une ombre très présente, mais la couleur jaune néanmoins éclate. Ces pièces de soixante sur 90 centimètres sont lisses et sensuelles comme un corps en mouvement, tandis que sur la cimaise à côté, on s’enfonce dans un espace de matières en fusion, orangées (150 sur 90 centimètres).
Eric Chenal illustre le procédé de l’héliogravure de manière littérale dans l’ensemble de dix images mises en scène sur le mur opposé. Il s’agit en effet ici de prises de vue de l’insoleuse de Fanny
Boucher. Chenal a « attrapé » le rayon lumineux et ces dix radiographies fixent un moment de lumière en mouvement, dans un arrêt sur image qui va de l’éblouissement jusqu’au noir, en passant par les nuances du bleu et du violet, à l’opposé du spectre de lumière des tons chauds d’en face…
On peut arrêter la visite dans cette première salle et se dire que Chenal a atteint le but de sa recherche, effacé avec brio les limites entre photographie et arts plastiques. La suite fait en effet partie de son histoire personnelle : un tronc d’arbre touché par un rayon de lumière qu’il a capturé lors d’une promenade dans la forêt ardennaise (trois héliogravures sont exposées ici sur une série de vingt). – Eric Chenal lui-même, foudroyé par la grâce de l’instant, tel Gustave Le Gray photographiant sur le motif dans la forêt de Fontainebleau au XIXe siècle ? Trois héliogravures sont exposées ici sur un tirage de vingt exemplaires.
Mais Eric Chenal est ainsi fait qu’il montre tout, passionnément, du coup de foudre, métaphoriquement le tronc d’arbre frappé par la lumière en forêt, à l’éloge de l’esthétique de la pénombre – on sait Chenal un des fervents adeptes de L’Éloge de l’ombre de l’auteur japonais Tanizaki. L’espace arrière de la galerie est transformé en petit temple personnel à la manière des Shogun. Est montrée ici, telle une présence tutélaire, la matrice originale héliogravée, la plaque de cuivre représentant l’arbre, mordue par l’acide. À la manière de la première photographie par Nicéphore Niépce.