Après Petits travaux dans la maison (éditons Phi) et La Robe de nudité (éditions des Vanneaux) en 2008, deux recueils de textes en proses, Lambert Schlechter publie, dans la collection Graphiti, un recueil de poésie, L’Envers de tous les endroits – bien qu’il ne soit pas toujours possible de faire la distinction entre poésie et prose à tel point l’écriture de Lambert Schlechter est dense.
Et en effet, dans L’Envers de tous les endroits nous retrouvons la griffe familière et habile de l’écrivain luxembourgeois. Nous retrouvons l’utilisation savante et parfois frénétique de certaines figures de construction et de répétition, notamment les dérivations, les anaphores, ou les homonymes, antanaclases et autres effets de polysémie (« la tireuse de sort sort de la scène/ ramène ses sorts [&] ses dés à coudre »). Nous retrouvons également les mélanges de registres, de styles, un ton tantôt lyrique, élégant, tantôt cru, vulgaire, ou simplement trivial.
Et pourtant, même si les sujets de prédilection de Lambert Schlechter restent inchangés (les tribulations ou les exaltations de l’écriture, et l’amour charnel sous toutes ses formes, c’est-à-dire la montée du sperme, l’adoration du vagin, le doigtage, et différents autres jeux cunnilinguistiques ou de touche-pipi), une mélancolie plus sombre (un « gouffre de tristesse ») a remplacé l’habituelle espièglerie, le caractère un peu folâtre des plus récents textes de Lambert Schlechter. Certains poèmes sont de simples énumérations, réflexions, constatations, des plus banales, mais qui frappent par leur sagesse, leur nudité, leur honnêteté.
Un grand nombre de textes parlent de l’attente de la mort, mais d’une mort décrite à l’aide de métaphores comme le « verdict », la « cassure », ou d’euphémismes comme « le repos à jamais », « l’autre somnolence », « le dernier matin ». L’inquiétude face à la mécanique du corps, face aux fonctions vitales qui pourraient un jour, quand on s’y attend le moins, tomber en panne, sont un autre sujet de ce recueil. Le livre comme méditation, comme préparation à la mort ? Philosopher, c’est apprendre à mourir, écrit Montaigne dans ses Essais.
Mais il faut considérer L’Envers de tous les endroits moins comme un recueil de poésie que comme un livre de « notes », dans le genre des listes-répertoires qu’ont écrit les poètes chinois comme Li Yi-chang ou japonais comme le moine Urabe Kenkô et dont se sont inspirés non seulement nombre d’écrivains orientaux, mais également certains auteurs contemporains français auxquels Lambert Schlechter doit beaucoup, comme par exemple Pascal Quignard. Et en effet, le genre littéraire des listes-répertoires (le zuihitsu : ce qui veut dire « au courant du pinceau ») mélangeant, souvent de façon fragmentaire, annotations, observations, réflexions, petites anecdotes, simples énumérations, éléments autobiographiques (parfois il s’agit de noter, au jour le jour, les états de santé de l’auteur vieillissant), définit bien mieux les textes de Lambert Schlechter que ce qu’on entend de nos jours par le mot poésie (à savoir, quelque chose comme une effusion lyrique pleurnicharde).
Ce petit livre de notes, presqu’un journal intime, dont les textes sont accompagnés par quelques dessins de Jean-Marie Biwer, sidère donc moins – comme on s’y attendait – par la grande crudité de certains propos plus ou moins pornographiques, mais par la candeur réaliste des textes qui témoignent d’inquiétudes matérialistes ou pragmatiques. Le monde à l’envers, dites-vous ?