Des entrepreneurs « traditionnels » locaux du bâtiment se jouent aussi parfois du droit social, se fichant comme d’une guigne des conventions collectives pour peu qu’ils parviennent à arracher des marchés publics. Leur « sport » consiste à présenter les prix les plus bas lors de soumissions. Ils compressent autant qu’ils peuvent les salaires de leurs ouvriers, quitte à faire de la fantaisie avec les conventions collectives de leur branche et mettre au turbin des apprentis pour raboter les coûts de leurs prestations.
À croire que certains patrons artisans travaillent non seulement bénévolement, mais aussi qu’ils roulent à vélo et que leur intendance administrative, en faisant l’économie d’un secrétariat, voire même de matériel informatique, se réduit à l’achat de papier et de crayons pour remplir les bordereaux de soumission.
En confectionnant leurs prix au rouleau compresseur et en alignant des tarifs à faire pâlir les plombiers polonais, ils n’ont qu’une obsession : remporter coûte que coûte les soumissions. Ils trichent alors forcément sur la qualité de la marchandise à fournir, mais finissent toujours, après coup, par retirer avantage de leurs travaux en concluant des marchés complémentaires, au mépris, bien sûr, de l’intérêt général.
C’est en tout cas les craintes qu’ont eu les responsables des Bâtiments publics lorsqu’ils sont tombés sur l’offre de prix d’une entreprise de peinture qui s’était associée à deux autres sociétés artisanales de sa branche pour l’exécution des travaux de peinture du futur lycée technique de Pétange. L’affaire mérite que l’on s’y attarde. Et pas seulement parce qu’elle a pris un tour politique. D’abord parce qu’elle renseigne de la survivance de certaines pra-tiques. Ensuite et surtout parce qu’elle a montré (provisoirement en tout cas) que les mécanismes de repérage des entreprises pra-tiquant des prix anormalement bas fonctionnent comme prévu. La loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics et son règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 d’application ont montré ce qu’ils avaient dans le ventre pour lutter contre ce qui ressemble à du dumping en version locale, sous un maquillage prétendument social. Dans la presse, le patron de l’entreprise écartée se pose en victime et dit se retrouver sur la touche pour avoir tenté de donner une chance à de jeunes apprentis. Cette version de l’histoire est un peu trop réductrice des faits. Car l’engagement d’apprentis n’a posé aucun problèmes de principe aux autorités.
Le ministère des Travaux publics, commanditaire des travaux, n’a pas pu faire autrement que refuser l’offre à 677 201,65 euros de l’association momentanée constituée de trois « petites entreprises de tradition ». C’était pourtant la moins-disante des cinq autres offres qui lui avaient été présentées. Cette surenchère à la baisse lui parut toutefois douteuse, obligeant les architectes à sortir les calculettes. Le taux horaire de l’offre litigieuse ressortait à 9,50 euros, tous frais compris alors que le taux, en vigueur au moment de l’offre, pour les salariés non-qualifiés pointait déjà à 9,0768. La convention collective pour les peintres qualifiés prévoit d’ailleurs un salaire horaire entre 10,1741 (moins d’un an d’expérience) à 11,8949 (dix ans de métier).
Dix personnes dont trois apprentis, ce qui justifiait aux yeux des patrons peintre le taux horaire particulièrement bas, devaient travailler sur le chantier pour une durée de quelque 150 jours. Les offres furent donc transmises pour analyse de prix à la commission des soumissions. Conclusion immédiate : la valeur moyenne du taux horaire des salaires directs incorporés ne permet pas de faire appel à un personnel qualifié et rémunéré selon les tarifs de la convention collective de travail pour le métier de peintre. De plus, quelque chose semble clocher dans les prix des matériaux, soulevant des « problèmes quant à la qualité et la conformité des prestations » (dixit un communiqué du ministre des travaux publics Claude Wiseler). La réglementation de 2003 autorise dans ce cas le pouvoir adjudicateur à écarter des offres dont le prix est considéré comme insuffisant si, tous frais déduits, il ne reste plus de bénéfice au soumissionnaire. Les chambres professionnelles ont par ailleurs mis en place des grilles indicatives des tarifs « acceptables » des différents corps de métiers du bâtiment. L’association momentanée nageait très en dessous. L’entreprise qui a décroché le marché avait elle aussi présenté une offre un peu en dessous du standard, mais elle a toutefois été jugée acceptable.
L’affaire a quand même abouti devant le tribunal administratif, avec deux procédures introduites par l’entrepreneur, l’une au fonds et l’autre en référé. La juridiction administrative vient de rejeter la demande de sursis à exécution du marché, jugeant à première vue « peu crédible » l’offre de l’entreprise. « Le recours à l’emploi de trois apprentis ne saurait dans ce contexte permettre de baisser cette moyenne alors que les apprentis ne paraissent pas pouvoir être considérés comme susceptibles de fournir un rendement pro-fessionnel normal », ont encore précisé les juges.