Assurément, le « triangle de sécurité », qui a fait les beaux jours de l’assurance-vie luxembourgeoise auprès des épargnants non-résidents en s’appuyant sur la conjonction d’une surveillance forte, d’une place financière en béton et des dispositions légales accordant un super privilège aux assurés en cas de faillite d’une compagnie d’assurance, relève davantage du mythe que de la réalité. La liquidation judiciaire de la société Excell Life début juillet (d’Land du 13 juillet), à la demande du Commissariat aux assurances contraint et forcé à ce geste, a jeté le doute sur la solidité de ce « triangle », faisant jusqu’à s’interroger le régulateur lui-même sur la validité du « privilège » des clients de produits d’assurance-vie, où les risques pèsent sur le souscripteur et non sur la compagnie, sur les créanciers publics (impôts, sécurité sociale). Au-delà de ces questions de principe, la disparition d’Excell Life pourrait entraîner, par un effet de dominos, une série de problèmes sur d’autres opérateurs du secteur ayant commercialisé des produits liés à cet assureur. Cette liquidation pourrait aussi faire rejaillir sur le Luxembourg des vieux « défauts de fabrication » de certains produits d’assurance « made in Luxembourg » vendus au début de la décennie 2000, notamment des défaillances en matière d’informations sur les charges, parfois excessives, prélevées sur les contrats ainsi que les « supports » sur lesquels les investissements sont adossés et leur adéquation aux attentes des investisseurs.
Ce serait d’ailleurs-là le talon d’Achille de certaines compagnies d’assurance-vie luxembourgeoises opérant en libre prestation de services sur les marchés européens, notamment français. La jurisprudence tracée en la matière par la justice française, il y a plus de six ans, (le droit applicable des contrats d’assurances est le pays du souscripteur et non celui d’établissement du prestataire) ne souffre plus aucune contestation : en l’absence d’informations suffisantes et adéquates, un client est habilité à se rétracter et donc à faire annuler son contrat et se faire rembourser les primes versées. La compagnie luxembourgeoise Aspecta, qui avait testé le marché français et fut prise en défaut, avait déjà fait les frais de ce principe.
Il s’agit d’un problème récurrent qui revient sur le devant de la scène lorsque la bourse flanche et que cette baisse déclenche une prise de conscience chez les clients de la fragilité de leurs investissements.
Il est probable que la société Atlanticlux en fera aussi l’expérience, la compagnie luxembourgeoise ayant été récemment assignée devant un tribunal français, précisément sur la base d’un défaut d’informations à ses clients. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’entreprise fait face à des demandes de rétractation des souscripteurs. Mais, assure un des dirigeants dans un entretien au Land, leur nombre resterait marginal par rapport au total des souscriptions dans le portefeuille de la compagnie. « Pour l’instant, nous n’avons pas connaissance de nouvelles procédures ouvertes », explique le responsable du marché français.
Parce que l’assurance-vie échappe encore à l’impôt à la source au niveau européen et que les compagnies sont soumises au secret professionnel sur l’identité de leurs clients et que ça reste un argument commercial de poids pour attirer le chaland au prix parfois de demies vérités et de non-dits sur la nature des produits, les contrats luxembourgeois restent encore prisés par les épargnants européens. Il suffit de voir l’évolution des primes au cours des six premiers mois de 2012 pour s’en convaincre : une hausse de près de 49 pour cent de la récolte avec un montant cumulé (fonds de pension, assurance-vie en unités de compte et assurance-vie classique) de 9,8 milliards d’euros fin juin 2012.
Il n’y a pas de points communs entre Atlanticlux et Excell Life, si ce n’est que les deux compagnies luxembourgeoises partageaient, jusqu’il y a peu la même adresse au Kirchberg, et que la première a racheté, à l’été 2011, le portefeuille français de la seconde, après en avoir aussi vendu certains produits sur le marché hexagonal. Avec un an de recul, on peut d’ailleurs s’interroger sur les raisons commerciales qui ont poussé Atlanticlux à s’offrir ce portefeuille d’Excell Life. À l’été 2011, le régulateur luxembourgeois, fut en tout cas bien content d’avoir « sorti » d’Excell Life le portefeuille français et espérait même qu’Atlanticlux franchisse un pas supplémentaire en rachetant l’ensemble des actifs détenus par la compagnie. Mais le deal ne s’est pas fait et aucun repreneur ne fut assez fou pour redonner une seconde chance à Excell aux prises avec des problèmes de solvabilité qui s’avèreront insurmontables.
Pour le reste, Atlanticlux présente, au regard des standards actuels, un profil de solvabilité parfaitement « dans les clous », un bilan sain et des administrateurs issus de la nomenklatura luxembourgeoise : la notaire Blanche Moutrier, qui est à la ville l’épouse de l’ancien ministre de l’Économie Henri Grethen, DP, et l’avocat Marc Loesch font partie du conseil d’administration.
Employant 62 personnes, Atlanticlux a dégagé un bénéfice proche de deux millions d’euros en 2011, auxquels s’ajoutent les bénéfices reportés des exercices précédents qui hissent les profits à sept millions d’euros. On est toutefois frappé, à la lecture de son bilan, de la modestie de son chiffre d’affaires par rapport à ses effectifs : des primes brutes de 115 millions d’euros l’année dernière (dont 50 millions sur le marché allemand, 44 millions en France et vingt en Italie), l’essentiel des contrats étant en unités de compte, c’est-à-dire que le risque d’investissement pèse sur le client et non pas sur l’assureur. Les primes nettes de réassurance pointaient l’année dernière à 82 millions d’euros, contre 95 millions un an plus tôt, la compagnie ayant beaucoup renforcé en 2011 sa politique de réassurance (33,2 millions d’euros) par rapport à l’exercice précédent (13,9 millions). Des primes modestes, mais des frais précomptés importants qui permettent à la compagnie, comme d’autres de son genre d’ailleurs, de surfer sur l’engouement de l’assurance-vie luxembourgeoise ? La seconde réflexion qu’inspire le bilan 2011 est l’étendue des remboursements de primes (totaux ou partiels) au cours des deux derniers exercices en comparaison avec le montant des primes encaissées : 44,9 millions d’euros en 2011 et 42,2 millions en 2010.
Si rien ne permet de remettre en question la solidité financière de cette petite compagnie, le ciel au-dessus d’Atlanticlux est pourtant chargé de nuages, plusieurs procédures ayant été engagées par ses clients français pour « sortir » de leurs contrats. Le Land a pu obtenir copie d’une des plaintes engagées par l’un d’eux devant le tribunal de grande instance de Nanterre. La procédure vise une autre compagnie d’assurance, Inora Life (Irlande), ainsi que la société de courtage Arca Patrimoine, avec siège à Boulogne-Billancourt en région parisienne, qui a conseillé les produits à des clients qui semblent avoir signé les yeux fermés.
La plainte fait, entre autres, état de prélèvements sur un contrat d’assurance à versements périodiques du nom d’Eurolux Épargne (produit qui n’est plus commercialisé par Atlanticlux) au montant plutôt modeste de frais de souscription de 7,5 pour cent au total, ponctionnés à trois reprises par tranche de 2,5 pour cent. Précisons qu’on ne parle pas là de frais de gestion. Or, à la signature en 2003, le client s’est uniquement fait remettre des conditions générales valant aussi note d’information. Le code des assurances en France oblige les entreprises à fournir une note d’information distincte, pour permettre à leurs clients de prendre une décision d’achat « en toute connaissance de cause », notamment en ce qui concerne les frais prélevés par la compagnie. Un autre contrat (sur vingt ans) souscrit par le même client pose des problèmes identiques : baptisé Valpotis (produit lui-aussi sorti de la gamme de l’assureur), le produit charge des frais de souscription de six pour cent (deux fois trois pour cent). Comme le note la plainte, les commissions sont importantes pour un contrat de vingt ans et correspondraient à deux fois et demie les commissions qui sont prélevées sur un contrat d’une durée de huit ans. De plus, le client avait 29 ans à la signature du contrat, et rien ne justifiait un engagement aussi long de sa part, ni du point de vue fiscal ni sur le plan financier, puisque les contrats de vingt ou huit ans étaient adossés aux mêmes supports financiers. En tenant compte de tous les frais, y compris ceux de gestion et de risque, les prélèvements opérés sur les primes au cours des deux premières années représentent plus de treize pour cent. Là encore, aucune clause n’a permis au souscripteur « de prendre la mesure des prélèvements ». Pas plus qu’une information ne fut fournie sur les frais des fonds internes sur lesquels les contrats sont adossés. Un troisième contrat en unités de compte, Primaduo (toujours commercialisé), incluant une composante d’assurance décès, pose également de sérieux problèmes, et pourrait d’ailleurs donner lieu à l’encontre de la société de courtage Arca à des poursuites pénales (pour publicité mensongère, notamment) : le souscripteur avait à peine trente ans au moment de la signature et avait clairement mentionné ses intentions d’économiser en vue d’un investissement immobilier. Or, pendant les quatre premières années de versement, les trois-quarts de la prime mensuelle ont pour objet de constituer un capital décès au profit d’un parent du client : aux antipodes de ce que cherchait le client, c’est-à-dire se constituer un capital pour acheter par la suite un bien immobilier. Il y aurait donc eu là encore un défaut d’information. La prime décès de Primaduo (6,75 pour cent) aurait été de plus de 45 fois supérieure à une prime décès usuelle, qui tourne autour de 0,15 pour cent par an du capital garanti, se plaint aujourd’hui le client.
L’argumentation juridique autour du défaut d’information du client a des chances de faire « tilt » devant les tribunaux français. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation, en 2006 et en avril 2011, ont confirmé sans aucune ambiguïté le droit des assurés d’actionner la clause de rétractation, ouverte de plein droit pour sanctionner le défaut de remise des documents et informations prévus par le code de l’assurance. Il n’est même pas nécessaire que l’assuré ait à démontrer sa bonne foi dans l’affaire pour obtenir le remboursement intégral de ses primes.
D’autres compagnies, avant Atlanticlux, se sont déjà brûlées les ailes à cet exercice. Bonjour les provisions.
Véronique Poujol
Kategorien: Finanzplatz
Ausgabe: 10.08.2012