On le voit de près. Dans le silence, la concentration. Son entraîneur lui dit : « Ce sera à nous ». Et on est tendu comme un fil, comme Kevin Haas lui-même, qui s’apprête à entrer dans le ring, à commencer le combat. Or, on ne verra pas la suite, pas immédiatement, mais on passera d’abord par une introduction sur le personnage, en courant dans la nature – superbe travelling qui le suit de dos –, ou devant ses élèves au lycée dans lequel il enseigne.
Kevin Haas donc est boxeur thaï. « Mon Dieu, quelle horreur ! » s’est exclamée sa maman quand il lui a annoncé son choix de vie, l’imaginant tabassé à longueur de match, sortant à moitié mort de chaque compétition. Mais en réalité, elle sera son plus grand fan, un soutien essentiel – « Kevin, il faut que tu aies la rage ! » lui lance-t-elle avant un combat. Christian Muno, Raoul Schmitz et Fränk Muno ont décidé de faire un film sur leur ami d’enfance, lorsqu’ils ont vu le documentaire de Jean-Louis Schuller sur les frères Schleck, The Road Uphill, ont-ils avoué lors de la première mardi soir. Sauf qu’ils ont eu plus de chance que leur aîné : leur poulain à eux est vraiment devenu champion : lors de l’année de tournage, il a carrément décroché le titre de champion du monde de boxe thaïe.
Nak Muay raconte l’histoire de cette année extraordinaire dans la vie de Kevin Haas. Lorsqu’il plaque sa vie matériellement confortable d’instituteur pour une carrière dans le sport, pour une vie faite d’abnégation, d’entraînements très durs, d’endurance et d’interminables voyages. On le suit d’un camp d’entraînement en Thaïlande en passant par des compétitions un peu partout en Europe, jusqu’au moment où, à Saint Pétersbourg, il décide de raccrocher, parce qu’il a « tout donné » pour ce sport, au plus haut niveau, mais qui ne paye pas. Sans aucun soutien public de la part d’un ministère ou d’un Comité olympique – parce que sa discipline n’est pas encore officiellement reconnue –, c’était devenu un gouffre financier que de combattre.
Les trois réalisateurs, dont c’est le premier film, encadrés par Anne Schroeder et Samsa Film, suivent Kevin Haas à la trace, sont toujours en mouvement avec lui, qui prend visiblement plaisir à se mettre en scène. Il accepte la caméra durant ses entraînements, elle le colle lors des combats, il ne demande pas de l’éteindre lors de ses doutes, lorsqu’il est à bout, n’en peut plus. C’est à ces moments-là que le film est le plus intimiste, qu’il dépasse le simple reportage type Envoyé spécial. « Il ne faut pas montrer d’émotions ! » conjure son entraîneur, mais Kevin a un cœur gros comme ça, affiche toujours un large sourire et une volonté de fer. Il fait preuve d’un courage impressionnant et d’une humilité incroyable, aussi intégré au lycée que dans le milieu très codifié des sports de combat, aussi touché par une lettre d’amour ornée de cœurs d’une de ses élèves que par la reconnaissance et le respect de ses pairs. Admiratif de Bruce Lee et de Jean-Claude Van Damme, Kevin Haas compare la vie au ring et le ring à la vie : il faut encaisser des coups, se relever et remonter dans le ring...
Nak Muay donne un aperçu du monde assez peu connu de la boxe, et plus particulièrement de la boxe thaïlandaise. On y apprend plein de choses, mais malgré tout, on reste sur sa faim. Les nombreuses scènes de combats, répétitives pour le néophyte, n’apportant pas grand-chose au récit. Par contre, on en apprend assez peu sur cette discipline, ses règles, son idéologie et ses codes. Qu’est-ce qui la différencie par exemple fondamentalement des autres styles de boxe, et pourquoi Kevin Haas a-t-il choisi celle-ci plutôt qu’une autre ? Si le film veut dépasser le reportage, toucher quelque chose de plus profond, ce n’est que partiellement réussi. S’il se veut un portrait de Kevin Haas, personnage certes extrêmement attachant, ce n’est que partiellement réussi aussi, puisqu’il ne sonde jamais vraiment sa part d’ombre, ses motivations réelles à pratiquer un sport à ce niveau, l’abîme existentiel qui l’a mené vers là. Son enfance, sa jeunesse sont exclues, comme si sa vie n’avait commencé que le jour du tournage.
Il demeure de très beaux moments, de belles images et des scènes magnifiques, dont certaines sont dues au tournage – ah, les boxeurs en veste à capuche qui sautent à la corde sur les tapis fastueux et sous les ors d’un hôtel de luxe à Saint Pétersbourg et oh, le beau plan lourd de sens quand Kevin Haas plonge dans la mer et dans sa nouvelle vie... D’autres sont dues au montage, comme le combat du championnat du monde, où les images symboliques au ralenti sont entrecoupées par des noirs à la bande son suggestive, une respiration, des bruits lointains – on s’y croirait.
Le genre du film de boxe est usé jusqu’à la corde, entre le Rocky et les Clint Eastwood, les Bruce Lee et les Van Damme. Nak Muay cherche un chemin entre toutes les catégories et n’y réussit qu’à moitié, car il ne semble pas avoir eu le courage d’une affirmation plus conséquente. Mais il est très prometteur pour les trois réalisateurs, qu’on suivra désormais avec attention.