Chaque film de Spike Lee est un coup de gueule contre l’époque, ses injustices. Les dérives policières qu’il dénonçait dans Do the right thing (1989) n’ont en effet rien perdu de leur actualité, comme le rappelait récemment Detroit (2017) de Kathryn Bigelow. Mais il y a eu, depuis, l’élection de Donald Trump et les défilés suprématistes de Charlottesville l’année dernière, soutenus à demi-mot par le président américain. Face à ces illuminés nourris au mythe de la pureté raciale, le cinéaste afro-américain lève le poing et leur répond d’un indéfectible « ¡ No pasarán ! ».
Sous ses airs cool de comédie rétro, le dernier opus de Spike Lee, BlacKkKlansman (2018), est bel et bien animé d’une colère noire. L’histoire du cinéma est alors mise à contribution de la lutte ; les références nombreuses à la Blaxploitation jouent ici contre les esclavagistes de Gone with the wind (1939) ou encore de Birth of a Nation (1915), épopée raciste saluée dans le monde entier pour ses apports à la technique cinématographique. L’année suivant la distribution en salles de ce film, un jeune Noir, Jesse Washington, était lynché en pleine rue puis pendu à un arbre, le corps entièrement calciné (le Strange Fruit immortalisé par la voix de Billie Holiday). Le souvenir de cette tragédie est d’autant plus émouvant que Spike Lee en a confié le récit à Harry Belafonte, premier acteur noir ayant pris part au combat pour les droits civiques.
L’histoire de BlacKkKlansman est basée sur un fait réel – à savoir l’infiltration, au début des années 1970, des membres du Klan par un policier noir, Ron Stallworth (une aventure décrite dans ses Mémoires publiées en 2006). Le jeune homme, interprété par John David Washington (le fils de Denzel), est secondé dans cette tâche périlleuse par son collègue Flip Zimmerman (Adam Driver, parfait en faux Redneck). Un Noir et un Juif, tels sont donc les deux justiciers de cette fable politique, unis par une même cause. Ce sont aussi les deux directions prise par la filmographie du cinéaste, entre Malcolm X (1992) et Inside man (2006). À travers la figure loyale du policier, Spike Lee prend à contre-pied tous les points de vue arrêtés sur la question. Il déjoue la tentation extrémiste de la lutte armée encouragée à l’époque par le Black Panther Party, comme il refuse d’identifier les policiers à de simples agents au service d’un système raciste. Sans rien ignorer évidemment de ces réalités, le cinéaste prône une révolution de l’intérieur, qui passerait notamment par l’instauration de quotas au sein des appareils d’État. Lorsque les contingents policiers seront peuplés de Noirs, la société américaine pourra commencer à se réconcilier avec elle-même. S’ouvre alors une troisième voie.