UMTS

Passez, y a rien à voir

d'Lëtzebuerger Land vom 01.05.2003

« Le mieux aurait été de ne jamais parler d'UMTS, » soupire le directeur général de Tango, Pascal Koster. Nous sommes dans l'an trois après l'explosion de la bulle « nouvelle économie ». Enfin, après moult retards et remises en question, une des grandes technologies porte-drapeau de l'ère Internet pointe enfin le nez : la téléphonie mobile de troisième génération (3G). Et jamais le mot révolution ne fut moins utilisé, jamais a-t-on autant évité de parler de grands changements. Au contraire. Pas question d'effrayer le client.

Tango, l'opérateur de mobilophonie du groupe Tele 2, a lancé mercredi 29 avril le premier réseau UMTS du Luxembourg. Ce n'est que le cinquième dans le monde. Le Grand-Duché avait certes pris du retard. Au lieu de fin 2000, comme prévu, les licences n'avaient été attribuées qu'en mai 2002. La technologie était cependant encore plus à la bourre. Tango entre maintenant en phase « friendly user » et recherche via son site tango.lu des volontaires. Dans deux ou trois mois, le réseau construit par Ericsson entrera en exploitation commerciale. 

LuxGSM, le réseau des P[&]T commercialisé par CMD et Mobilux, est annoncé pour l'été. Il sera construit par Siemens. Le nouveau venu Orange (filiale de France Telecom) s'était certes engagé pour un lancement en août. Le respect de cette promesse tiendrait cependant maintenant du miracle, entre autres à cause de l'impossibilité d'obtenir des autorisations pour la mise en place d'antennes. Tango, qui couvre pour l'instant 70 pour cent du territoire et 92 pour cent de la population, s'est jusqu'ici contenté de mettre à niveau 70 de ses antennes existantes. À terme, il devrait y en avoir 227. 

Tango, pourtant spécialiste des grandes fanfares, préfère parler d'un « soft launch » pour l'UMTS. Dans l'idéal, les clients ne remarqueraient même pas qu'il y a eu un changement de technologie. Il suffit qu'ils profitent des nouveaux services. Leurs portables s'occuperont du reste.

Tout comme seule une minorité des utilisateurs est consciente d'avoir un téléphone « dual band » voire GPRS, UMTS se trouve dans la continuité du GSM. Les nouveaux appareils téléphoniques utiliseront les deux technologies. Le GSM disparaîtra progressivement d'ici 2012. 

Pour l'instant, les prix des téléphones UMTS (aussi capables de fonctionner sous GSM) sont comparables à ceux du haut de gamme GSM actuel : entre 500 et 800 euros. Moins, si l'opérateur, à l'exemple de CMD et Mobilux, subventionne l'appareil pour ses abonnés. Plusieurs marques offrent des appareils sur le marché, même si le choix n'est pas encore aussi vaste que pour le GSM. Tango ne s'attend pas moins à ce que dès le quatrième trimestre et l'importante saison de Noël, vingt pour cent des téléphones vendus supporteront le « 3G ». Peu à peu, tous les portables seront compatibles UMTS.

Si la troisième génération devait en premier lieu permettre l'« Internet mobile », les opérateurs l'accueillent aujourd'hui à bras ouverts pour d'autres raisons : leurs réseaux GSM sont saturés. Qui a déjà essayé de téléphoner alors qu'il ou elle se trouvait dans une foule de gens le sait : il arrive de plus en plus souvent que les réseaux ne savent plus suivre la demande. Avec UMTS, cela changera. Là où GSM arrive à bout, UMTS ne fait que commencer. Les capacités sont « quasi illimitées », selon Pascal Koster. 

Pour les clients, le principal changement consistera dans les services. Même si les opérateurs acceptent aujourd'hui que les appels téléphoniques tout ce qu'il y a de plus ordinaires - plutôt que l'Internet - continueront à dominer l'utilisation des téléphones mobiles. Grâce à de nouveaux appareils, équipés d'écrans couleurs, voire de caméras, les messages multimédias (MMS), qui peuvent comprendre des vidéos, sont déjà connus. UMTS permettra en plus la « visiophonie » (chez Tango, un supplément de 49 cents par appel) et la diffusion de programmes radio ou télé sur téléphones portables. Il reste toutefois à voir si les P[&]T, à la différence de MMS, auront la clairvoyance d'interconnecter leur réseau avec celui de Tango pour ces services. Pour les MMS, ils le refusent - contre toute logique - pour l'instant.

Ces nouveaux services combinent de plus en plus le téléphone et l'ordinateur. Aussi bien Tango que LuxGSM ont ainsi développés leurs services Internet liés aux portables. Alors que les téléphones ressemblent à des assistants personnels (PDA), l'opérateur GSM/UMTS devient en même temps le fournisseur de l'adresse de courrier électronique, d'agenda sur Internet et d'autres gadgets. 

L'UMTS ne développe cependant ses véritables forces qu'en liaison avec un ordinateur. Dès maintenant, cette nouvelle technologie permet une connexion à Internet à 384 kilobits par seconde. C'est six fois l'ISDN et dépasse même les offres DSL et câble de télédistribution les moins chères. C'est là que ça devient intéressant. Surtout que pour 2005 (il faut être prudent avec les dates dans ce métier), on s'attend à une vitesse de deux mégabits.

« Nous visons la substitution du téléphone fixe par le mobile, » annonce Jean-Claude Bintz, administrateur délégué de Tango. Sous-entendu : les P[&]T n'ont qu'à bien se tenir. La logique de Bintz est simple : construire un réseau mobile est certes cher (on estime le coût d'un réseau UMTS au Luxembourg construit à partir de rien à 125 millions d'euros), mais bien meilleur marché que de poser les lignes d'un réseau en fil de cuivre. Pour le passage de GSM à UMTS, Tango n'aurait même déboursé pour l'instant « que » seize millions d'euros. Selon l'opérateur qui n'a pas de réseau fixe il sera donc possible de concurrencer le téléphone traditionnel grâce à des tarifs au plus bas.

Pour l'utilisateur, ces promesses ont une odeur de souffre. Oui, de 75 cents par minute, le coût d'un appel GSM a baissé à quelque douze cents depuis que le marché est concurrentiel. Or, ces prix n'ont plus vraiment bougé depuis trois ans maintenant. Et, comparés aux quelque trois cents d'un appel sur le réseau fixe des P[&]T, ils restent prohibitifs. Au tarif réduit, en soirée, la différence est encore plus importante.

L'explication est commerciale mais aussi technique. En entrant sur le marché, Tango a en effet cassé les prix, forçant les P[&]T à suivre. Plus qu'une politique de dumping, il s'agissait d'un calcul commercial banal : le coût du réseau est quasi fixe. Plutôt que par la marge, le meilleur moyen de faire des bénéfices est par le volume. 

Cette approche a toutefois des limites. Dans une première phase, il fallait bien veiller aux marges afin de pouvoir payer ses dettes. Les opérateurs GSM, hors folies liées aux licences UMTS, sont des entreprises très rentables. Ensuite, la limite fut technique : la capacité du réseau. Depuis plusieurs années maintenant, les réseaux sont saturés. Pas question dès lors de baisser les prix pour stimuler encore plus de trafic. Plutôt que plus de bénéfices, le résultat serait une défaillance du réseau et une clientèle mécontente.

Avec UMTS, les opérateurs disposent à nouveau d'une marge de manœuvre. Mais Tango clame que dès maintenant le mobile ne devient pas plus cher que le fixe. Grâce à UMTS, la connexion à Internet est comparable à DSL. Or pour cet accès à bande large (offert par les P[&]T et Cegecom), l'abonnement coûte au moins cinquante euros. Un coût qui n'existe pas pour le propriétaire d'un portable. 

Cette situation pose surtout un défi stratégique majeur aux P[&]T, l'opérateur historique. À la différence de Tango, l'entreprise publique devra conjuguer dès l'été avec cette nouvelle concurrence dont une offre sera, avec LuxGSM, interne. Éternellement soucieux de leur marge bénéficiaire, les P[&]T ont raté d'imposer DSL sur le marché. Selon Tango, la pénétration ne serait que de trois pour cent des ménages. Il sera donc intéressant de voir comment l'opérateur historique adaptera son marketing et en premier lieu ses tarifs à la nouvelle donne.

Chez Tango, on estime, d'une part, qu'Internet est aujourd'hui utilisé par 60 pour cent des ménages et que, d'autre part, le consommateur moyen ne veut pas dépenser plus de dix euros par mois pour ce service. Le DSL n'est donc pas une alternative à la connexion plutôt lente qu'offre un abonnement ISDN - UMTS si, par contre. Pour 2010, l'opérateur mobile s'attend dès lors à ce que la moitié des abonnés au téléphone auront abandonné le fixe pour le mobile. Il annonce même que les prix seront d'ici là moins élevés qu'aujourd'hui.

Les visions sur l'UMTS ont donc beaucoup changé depuis trois ans. À l'époque, le « data » devait remplacer la voix en tant que « killer application » des téléphones mobiles. Aujourd'hui, le portable se veut plutôt un téléphone complet. Alors que de plus en plus de personnes ne gardent leur abonnement au réseau fixe que pour Internet, UMTS ne complète pas seulement l'offre mobile mais pose même de nouveaux standards. À condition que les tarifs suivent.

 

Jean-Lou Siweck
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