Michel Scholer va combiner ses tâches au ministère d’État avec le poste de secrétaire général du gouvernement.
Ce cumul stakhanoviste exprime-t-il une stratégie de consolidation du pouvoir de la part du « CEO »
Luc Frieden ?

Union personnelle

Photo: Olivier Halmes
d'Lëtzebuerger Land du 04.04.2025

L’actuelle secrétaire générale du gouvernement, Christine Goy, est décrite comme une fonctionnaire intègre, « de la vieille école », mais qui aurait été mal à l’aise dans cette fonction aussi politique que polyvalente. Elle retournera à son « administration d’origine », c’est-à-dire aux Affaires étrangères, où elle « se consacrera à de nouveaux défis », note un communiqué du ministère d’État, publié vendredi dernier. Son passage comme secrétaire générale du gouvernement aura été de courte durée, de novembre 2023 à mai 2025.

Michel Scholer, le chef de cabinet de Luc Frieden, la remplacera à partir du 1er mai. La fonction de secrétaire général sera donc arrimée étroitement au ministère d’État. Dans l’opposition, on s’étonne que Xavier Bettel et Lex Delles (les deux chefs du DP) aient accepté sans broncher la nomination du bras droit de Frieden à ce poste éminemment stratégique. Dans les faits, se rassure-t-on chez les libéraux, Scholer aurait déjà commencé à endosser ce rôle, et ceci sans se montrer autoritaire ou sectaire.
Âgé de seulement 31 ans, Michel Scholer reste un inconnu du grand public. Il a connu sa première exposition médiatique en janvier devant la commission spéciale Caritas. Scholer a dû y justifier le cours d’action adopté par le « comité de suivi » durant l’été dernier. Ce comité ad hoc, présidé par Scholer, s’était cantonné à un rôle passif, suivant le lead de Christian Billon et des restructurateurs de PWC. Scholer a joué le fusible, protégeant son Premier ministre qui, dès juillet, avait publiquement donné la consigne : Il fallait sauver les activités de Caritas, mais sans appliquer le « quoiqu’il en coûte » à l’organisation elle-même.

Michel Scholer est généralement décrit comme « très intelligent », « réfléchi », « consciencieux ». Même s’il a sa carte au CSV, il n’y a jamais joué un rôle actif. Le jeune technocrate est issu de la notabilité locale. Son grand-père avait fondé les grands magasins Monopol, son père repris les franchises Quick, Pizza Hut, Chi-Chi’s et Exki. Ses deux frères travaillent également dans le privé. L’un est entré dans la firme familiale, Happy Snacks, l’autre vient de lancer une « clinique digitale » qui offre des prescriptions en ligne pour des hommes atteints de troubles d’érection.
Michel Scholer a, lui, choisi la fonction publique. Il a commencé sa carrière en 2017 au ministère des Finances sous Pierre Gramegna (DP). Trois ans plus tard, il est envoyé à Washington pour représenter le Grand-Duché auprès du FMI. Peu après les élections d’octobre 2023, il est contacté par Frieden auquel il aurait été recommandé par « certaines personnes », comme il le dira prudemment au Land en février 2024. De retour au Luxembourg, Scholer a réussi à se retrouver étonnamment vite dans le microcosme politique.

Sa nouvelle tâche de secrétaire général consiste à fixer l’ordre du jour des conseils de gouvernement, à en dresser les procès-verbaux et à veiller à l’exécution des décisions prises. Autant pour la définition officielle. Concrètement, il est chargé de la chorégraphie législative, du bon timing des dossiers et de l’aplanissement des différends interministériels. Il doit également briefer le Premier ministre, ce qui nécessite à la fois une maîtrise technique des dossiers et un certain instinct politique. Le secrétaire général préside surtout le « préconseil », un cénacle sélect qui ne figure pas dans les manuels d’éducation civique. Dans son nouveau livre sur les institutions, Alex Bodry y fait brièvement référence, le caractérisant d’« organe politico-administratif ». Le « préconseil » a en fait lieu après le conseil de gouvernement du vendredi pour en préparer le prochain. Les hommes et femmes de confiance des ministres se réunissent pour faire les derniers arbitrages. Le but de l’opération étant que les dossiers puissent passer sans heurts le conseil de gouvernement qui n’est pas conçu comme un forum de débat.

Parmi les membres du « préconseil » règne un esprit de corps, tous étant contents d’en être ; même si la collégialité et l’harmonie ont tendance à se fissurer à l’approche des élections. (Dans les précédents gouvernements, le potentiel de conflit était particulièrement élevé entre l’Agriculture et l’Environnement.) Face aux autres hauts fonctionnaires, le secrétaire général doit résumer, de manière nuancée mais discrète, les décisions prises par les ministres et les discussions qui y ont mené. Cela n’est pas toujours évident. Comme le racontent deux ex-ministres au Land, Jacques Santer (CSV) avait ainsi l’habitude de clore les discussions au conseil de gouvernement par la phrase « Dann maache mir dat esou ! », sans que les personnes présentes (à commencer par le secrétaire général) ne sachent ce qu’il fallait comprendre par « esou ».

« Le poste de chef de cabinet sera aboli », écrit le ministère d’État dans son communiqué. Il s’agit en fait d’un ajustement sémantique. Car Michel Scholer continuera bien à assumer ses « principales tâches » au ministère d’État, précise-t-on. Il cumulera donc deux jobs, dont chacun pris isolément est réputé comme très éprouvant ; une charge de travail stakhanoviste. Face au Land, le ministère d’État tente de rassurer, et évoque une « réorganisation interne plus générale » : « Michel Scholer continuera à assumer certaines tâches lui attribuées jusqu’ici (et non toutes) et ne reprendra pas toutes les fonctions et tâches exercées par Madame Goy ». 

Or, le secrétaire général continuera bien à co-présider le comité de coordination de la Maison du Grand-Duc, une tâche chronophage, et potentiellement harassante. Actuellement, il préside également la Commission d’économies et de rationalisation, où se décident les numerus clausus des différentes administrations. (Ce qui pourrait provoquer de légers dilemmes déontologiques lorsque Scholer devra décider si son ministère aura droit à plus de postes ou non.) En 2016, Xavier Bettel avait préféré séparer la fonction de « dircab » de celle de secrétaire général ; le premier défendant les intérêts du Premier ministre dont il est l’homme de confiance et le sparring partner ; le second étant supposé adopter une vue plus agnostique de médiateur entre coalitionnaires et ministères.

L’union personnelle sous Scholer apparaît symptomatique d’une volonté de concentrer le pouvoir au sommet de l’État. En début de son mandat, Luc Frieden revendiquait pour lui le rôle de « directeur général » veillant sur ses « chefs de département » (c’est-à-dire les ministres). Le Premier ministre se voit-il toujours comme le CEO ? La réponse du ministère d’État est prudente. Elle commence par « conformément à la Constitution » : « Le Premier ministre coordonne l’action du gouvernement et veille au maintien de l’unité de l’action gouvernementale. » Jusqu’ici le Premier ne semble pas avoir « tapé du poing sur la table », comme il l’avait annoncé durant la campagne électorale. La Constitution ne lui confère d’ailleurs pas de pouvoir hiérarchique sur les autres ministres.

Luc Frieden devra lutter contre son penchant au micro-management qui risquera de créer des goulots d’étranglement. Jean-Claude Juncker avait fait l’erreur de penser pouvoir tout faire lui-même. C’était l’époque où « le héros de Dublin » célébrait « le génie luxembourgeois » : Un petit nombre de commis de l’État traitant un grand nombre de dossiers. Ce modèle s’est effondré sous l’accumulation des dossiers, notamment européens. Dans son interview de départ accordée au Land, le directeur de l’Enregistrement, Romain Heinen, y voyait le point faible du Premier ministre : « Il avait du mal à s’organiser et à se protéger au sein du ministère d’État qui continuait à fonctionner comme au XIXe siècle. C’est ce qui a finalement causé sa chute en 2013. » À l’époque, Marc Colas, supervisait la cuisine interne du ministère d’État tout en remplissant la fonction de secrétaire général du gouvernement. L’homme de confiance de Juncker – un des derniers à avoir porté le titre d’« administrateur général » – a fini placardisé quelque temps après la « révolution d’octobre » de 2013. Il prendra la sortie vers le Conseil d’État en 2015. 

Les secrétaires généraux ont longtemps été des incarnations du « deep state », des technocrates avant la lettre. Il est rare qu’ils fassent des carrières politiques ; Pierre Werner et Octavie Modert sont les deux exceptions qui confirment la règle. Le très discret et très prudent Albert Hansen, homme à tout faire de Werner puis de Santer, aura eu le plus de longévité à ce poste qu’il a occupé entre 1979 et 1994. Les quatre derniers secrétaires généraux étaient tous diplomates. À commencer par Jean-Paul Senninger qui, quoiqu’encarté au DP, était accepté par les trois coalitionnaires comme honest broker. Le haut fonctionnaire (qui avait servi sous Lydie Polfer puis sous Jean Asselborn) cherchera à préserver les équilibres et à ménager les susceptibilités. (En cela, il ressemblait à un autre diplomate : Pierre Gramegna.) Ses deux successeurs Jacques Thill et Jacques Flies ont continué dans la même veine, affichant leur neutralité politique.

Michel Scholer aura été le quatrième « chef de cabinet » au ministère de l’État. C’est en 1974 que ce titre officieux est apparu une première fois dans l’organigramme, Gaston Thorn (DP) y nommant son « apprenti » Paul Helminger. (« Thorn erdrückt nicht, er stimuliert », dira celui-ci en novembre 1979 à la Revue.) Suivra une longue période de latence jusqu’à ce que Xavier Bettel réintroduise ce poste en 2016, y plaçant son conseiller com’, Paul Konsbruck. En 2021, le poste est repris par Jeff Feller, un jeune libéral de tendance écolo.

Luc Frieden souhaiterait que le cabinet « fonctionne comme équipe », communique le ministère d’État. À côté de Michel Scholer, le cercle rapproché de Luc Frieden est composé de Yasuko Muller (conseillère diplomatique), Bob Feidt (conseiller économique), Isabelle Nicolay (conseillère sociale et écologique) et Stéphanie Bodoni (conseillère communication). Jacques Thill va endosser le rôle de « conseiller sécurité » qui réunira la défense, la protection civile, le service secret et la politique spatiale. Ce poste « transversal », lit-on dans le communiqué du ministère d’État, a été créé « vu le contexte international ».

Entouré d’une équipe restreinte, Luc Frieden s’active sur de nombreux fronts. Il doit ainsi s’improviser « ministre du Travail bis » pour corriger les gaffes de Georges Mischo qui a réussi l’exploit de souder le LCGB et l’OGBL. Le Premier ministre avait pris l’option du rajeunissement, s’entourant de ministres CSV novices, reléguant Michel Wolter, Marc Lies ou Marc Spautz au Parlement. On peut aussi y voir une stratégie politique de la part de Frieden : La nomination de deux ministres inexpérimentés (Georges Mischo et Serge Wilmes) au Travail et à l’Environnement lui permettant de dicter son agenda idéologique qui consiste justement à affaiblir le droit du travail et la réglementation environnementale. En parallèle, le Premier ministre s’est emparé de la présidence du CSV, une première dans l’histoire du parti, que Luc Frieden a justifié par le besoin de « Geschlossenheet ».

Bernard Thomas
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