Art contemporain

De la fiction vraie

d'Lëtzebuerger Land du 28.06.2019

À son habitude, Erna Hécey, avec son goût pour l’art conceptuel et sa rigueur, a choisi d’exposer, dans son nouvel appartement-galerie, boulevard Emmanuel Servais, un travail qui demande effort et attention. Roee Rosen, l’artiste israélo-américain (né en 1963 à Rehovot en Israël où il vit et enseigne), qu’elle présente actuellement est surtout un vidéaste. L’exposition est intitulée d’après le cycle The Buried Alive Cycle. Ses esquisses, destinées à la publication Vladimir’s Night, sont également présentées et révèlent son talent de dessinateur et de conteur.

Le travail de Rosen est stratifié en couches : il est, commençons ainsi, aussi innocent et cru que les enfants peuvent être méchants et faire peur. C’est ce que montrent les dessins préparatoires au crayon de Vladimir’s Night – Erna Hecey en montre 62 en tout – pour la publication (textes et dessins en couleurs) éditée chez Sternberg Press à Berlin en 2014, que l’on peut feuilleter dans l’exposition.

De ses études de philosophie et de littérature comparée à l’Université de Jérusalem (diplômé en 1984), suivies d’un diplôme à la School of Visuel Arts à New York (en 1989), Rosen réussit à faire la synthèse en inventant des personnages fictifs : ici, l’auteur Maxim Komar-Myshnik, qui, éprouvant une peur paranoïaque de Vladimir Poutine, raconte donc ce conte cruel mais d’une manière enfantine. Le rêve se terminera au petit matin, par l’exécution de son persécuteur.

Maxim Komar-Myshnik, ce premier personnage fictif de Roee Rosen (supposé né en Russie en 1978 et émigré en Israël où il mourra en 2011), est lui-même le créateur du collectif les « Buried Alive », dont on ne peut comprendre les mises en scène théâtrales et burlesques, filmées par Roee Rosen à la manière dont les terroriste diffusent leurs vidéos de propagande sur Internet et à destination des médias télévisuels, que si l’on a en tête le « Witz », cette forme d’humour ashkénaze très particulière. Le triptyque Jokes number 1, 2 and 3 du cycle The Buried Alive Cycle (2013) en est bourré et encore une fois, on retrouve un Vladimir Poutine, dont la testostérone ostentatoirement affichée dans la réalité, est tournée en ridicule : ici, c’est une femme masquée à son effigie et qui fume en douce par en-dessous.

Rosen a donné vie à ces refuzniks de l’ex-URSS, preneurs d’otages, jamais intégrés à la société israélienne, une existence durant dix ans. The Buried Alive Cycle fut primé à Rome et Bucarest et représente en quelque sorte la deuxième strate de réflexion chez Rosen. Lui succède, gravée dans le marbre des dix commandements, la lutte au fondement de la « morale » juive aussi bien que judéo-chrétienne : entre le bien et le mal, entre le pur et l’impur. Roee Rosen a réalisé The Dust Channel, en 2016 (présenté dans le cadre de la Documenta 14 à Cassel en 2017 et l’année dernière au Centre Pompidou à Paris). C’est une sorte d’opérette, genre comique théâtral par excellence, où l’aspirateur symbolise l’outil suprême de la « cleanitude », mais détourné aussi à des fins de satisfaction sexuelle : l’homme et la femme ont perdu leur innocence depuis qu’ils ont été chassés du Jardin d’Eden. Roee Rosen illustre ici les paradoxes de la société israélienne actuelle, l’artiste, libre, brise les tabous et cherche délibérément à choquer. Freud se serait régalé.

L’exposition The Buried Alive Cycle de Roee Rosen est à voir jusqu’au 15 août à la Galerie Erna Hecey, 20c bd. Emmanuel Servais, Luxembourg-Limpertsberg ; ouvert du mardi au samedi de 14h30 à 19 heures ou sur rendez-vous ; www.ernahecey.com

Marianne Brausch
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