Un cortège de voitures roule à faible allure sur une route étroite et en zigzag. Devant cette colonne d’automobilistes qui commencent à rechigner, un cycliste qui semble admirer la vue. C’est que les Ardennes luxembourgeoises valent le coup d’œil. Le cycliste trace sa route, tandis que les automobiles suivent une flèche indiquant un parking. Plus loin, un plateau sur lequel stationnent plusieurs dizaines de véhicules. D’ici, il faut encore descendre une longue côte pour enfin arriver à Lellingen, charmant village en plein cœur du parc naturel de l’Our. Beaucoup ont fait le déplacement pour assister à la 29e édition de l’Open Air Konstfestival. Depuis près de trois décennies, le jour de la fête nationale, la bourgade est le théâtre de nombreuses manifestations artistiques. Ce festival, qui s’apparente à une biennale d’art à ciel ouvert, offre surtout un beau terrain de jeu pour les acrobates, musiciens et autres compagnies de théâtre de rue.
À l’entrée du village tout d’abord, une carte indique les différents lieux d’expositions et les différentes scènes. Car il faut encore préciser que des expositions ont été installées dans divers endroits. Dans la Konstgallerie tout d’abord, où le public peut découvrir Sense of Africa d’Emil Antony. Les peintures accrochées représentent des visions idéalisées de la savane africaine. Plus loin, à la lisière d’un bois, un entrepôt dans lequel on découvre le travail d’Isabelle Pirson, notamment une des œuvres phares de cette édition, un portrait de Basquiat. Son Tribute to the king, orange, vert et fuchsia, a en effet été sélectionné pour être l’affiche du festival cette année. On y retrouve l’artiste de face, avec ses mythiques cheveux en pétard et ses couronnes à trois pointes. D’autres expositions ont lieu directement chez l’habitant mais la plus atypique est à admirer dans la chapelle Saint-Pierre. Sur le fronton du petit édifice octogonal, un modeste morceau de carton annonce une expo de Claudine Maillet. Là, en plein milieu de la pièce, entre les idoles religieuses, des portraits en gros-plan de ruminants sur des chevalets. Difficile à expliquer pourquoi, mais cette vision de vaches et de brebis qu’on découvre nous laisse sans voix.
Toute la journée durant, on observe aussi des artistes qui peignent à chaque coin de rue, l’occasion d’un échange avec le public. Certains prennent le temps de discutailler tandis que d’autres expriment d’emblée leur remontrance au bavardage. Il ne faut pas déranger ceux-là. Ces peintres, du dimanche ou bien confirmés, participent en fait à un concours-live. Les membres du public sont invités à indiquer sur un coupon leurs stands préférés et à le glisser dans une caisse à l’accueil (la remise des prix aura lieu demain, samedi 29 juin). Il y a de tout, beaucoup d’abstrait mais aussi des portraits, notamment celui de Superjhemp, inévitable. Uyi Nosa-Odia se détache du lot, parmi d’autres, en réalisant une œuvre colorée et parcellée, comme composée d’une multitude de pièces de puzzle.
En début d’après-midi, trois grandes créatures, à queue et à bec, pénètrent dans l’enceinte du village. Il s’agit d’un walk act de la compagnie hollandaise Close-Act, qui fait toujours effet. Au même moment, un couple en pierre flâne, bras dessus bras dessous. Dans leur poussette, des cailloux en guise de progéniture. On se dit que les deux artistes du Krist Doo Festivaltheater doivent étouffer sous leurs costumes. Plus loin, on retrouve Martin Forget dans sa tenue de Man-Alien. Comprendre une créature hybride avec des ailes, quatre jambes et quatre têtes, rouges et équipées de lunettes de soleil. Il s’arrête pour admirer une course au ralenti de veilles automobiles de la compagnie TukkersConnexion. Dans une rue adjacente, Lorenzo Gianmario Galli, homme-orchestre, fait le show. Muni d’un banjo, d’un harmonica et de percussions sur le dos, il chante Creep de Radiohead avant d’entonner Bella ciao, repris en cœur par le public.
Plusieurs scènes ont aussi été prévues. Sur la plus grande, le duo Cycling Circus effectue une performance d’acrobaties en monocycles sur fond sonore de J’traine des pieds d’Olivia Ruiz. Le rythme de la chanson, en boucle, accélère à mesure que le duo tente des mouvements toujours plus impressionnants. Les deux acrobates virevoltent à l’aide d’une longue corde à sauter sur des monocycles de plus en plus petits. En face d’eux, une plus petite scène sur laquelle les guitaristes Ron Giebels et Christian Heumann jouent Let it be. De l’autre côté de la bourgade, coupée en son milieu par une rivière qu’on traverse pieds nus, un food village où la bière coule à flots. En revenant sur nos pas, on découvre un atelier de sculpture dans une ferme. Dans le même bâtiment, des enfants graffent avec maladresse dans le cadre de l’Art Academy. Un bancomat mobile trône aussi au centre du village. En fin d’après-midi, on jette un dernier coup d’œil aux ruminants dans la chapelle en se promettant de revenir l’an prochain.