C’est bien le respect qui entoure la vie de Frank Ruppert, ce Luxembourgeois trentenaire aux yeux bleus perçants qui depuis douze ans s’investit corps et âme dans la découverte et la transmission des arts martiaux. Il est entraîneur, mais préfère le terme d’instructeur (sifu en chinois pour désigner « maître »). Adolescent un peu loubard et survolté, il s’adonnait au foot, tout en découvrant les arts martiaux à travers les films de Bruce Lee. Ses parents se sont longtemps opposés à ce qu’il s’inscrive dans un club, au point qu’il n’ait pu accéder à son rêve et à sa transformation (physique et mentale) qu’à l’âge de 18 ans. « Peut-être ont-ils eu raison, cela a créé en moins une véritable envie que je ne pouvais plus ignorer. En tous cas, mes parents avaient tort de croire que les arts martiaux sont dangereux. Mais il est vrai aussi que j’ai eu de la chance de tomber dans un excellent club, celui de Livange, le Fight Team Impact (aujourd’hui sous la direction de Bartolome Aguilera), de Daniel Lonero, mon premier guro (entraîneur en philippin), qui est l’élève du grand Don Inosanto, l’homme qui a importé le kung fu aux États-Unis et développé le jeet kun do – proche ami de Bruce Lee. Depuis 2001, ma formation, je l’ai voulue en accéléré – je me suis mis à m’entraîner tous les jours et comprendre la culture et l’histoire des arts martiaux ainsi que leur éthique ».
Aujourd’hui, Frank est à son tour guro et il sillonne le Luxembourg et toute l’Europe pour suivre, mais aussi pour proposer des cours ou des formations en différents sports de combats. Il adore enseigner, à toute sorte de groupes d’ailleurs, mais surtout aux plus petits. À l’Alma (Academy of Martial Arts) à Dudelange et au FTI (Fight Team Impact) à Livange, il propose plusieurs fois par semaine des cours d’arts martiaux de tous genres, notamment de muay thai (boxe thaïe) à des six à douze ans, où dans son enseignement, outre l’apprentissage de différents mouvements coordonnés, transparaissent beaucoup la philosophie et la discipline liées à ce sport. Les enfants adorent ce entraîneur-conteur. Il faut dire que Frank est charismatique, mais il a aussi une solide formation universitaire en histoire, après un master 2 à Montpellier, il prépare d’ailleurs son doctorat sur le contexte de l’histoire du mouvement. « Peut-être suis-je aussi porté par le côté un peu mystique des arts martiaux, par cette toute autre culture, où il s’agit de défendre ceux qu’on aime, plus que de cogner sans relâche. D’ailleurs, voici l’un des piliers de tout art martial : on doit se défaire de son égo, on développe l’empathie et la lucidité sur fond de mémoires des muscles. C’est bien l’esprit qui détermine les actions du corps. Moi, ça me garde honnête. »
Chaque été, Frank part se former et se ressourcer à l’Académie de Don Inosanto à Los Angeles, ce petit homme âgé de 77 ans d’origine Philippine est un véritable artiste martial, un vénérable. Il s’entraîna avec Bruce Lee lors de la création du jeet kune do (un dérivé du kung fu) dont il est d’ailleurs l’un des deux seuls pratiquants certifiés. Frank est envoûté par ce père spirituel qui axe tout son enseignement sur la tolérance, le respect (de soi et des autres) et la transmission aux plus jeunes. Ainsi, à force de volonté personnelle et de besoin inhérent à sa famille d’arts martiaux, Frank s’est spécialisé, au point d’être devenu, dès 2007, entraîneur sous son propre entraîneur, Daniel Lonero, en FMA (Filipino martial arts), instructeur ou sifu en jeet kune do (le sport de combat de Bruce Lee), il est également instructeur/guro en madjapahit silat (art martial se référant aux techniques philippines, malaysiennes et indonésiennes), il est aussi instructeur pour la TBA (Thai boxing association of Luxembourg Branch), en muay thai et étudiant avancé en shooto wrestling (sport de combat de plus en plus réputé au Japon). Frank est aussi gant rouge en boxe française. Et pour finir, il s’entraîne également en jiu jitsu brésilien (où il n’est « que » ceinture blanche). « Dans ce monde d’arts martiaux, c’est d’ailleurs ce qui est drôle, parfois on est élève, parfois entraîneur. »
On peut dire que Frank est vraiment habité par ses disciplines, lorsqu’il en parle, les mots le portent très loin, bien au-delà des combats menés. Face à nous, un homme purement passionné qui sait pertinemment, de part son expérience que ce genre de centre d’intérêt, voire de passion pourrait améliorer une société de jeunes (garçons et filles d’ailleurs, d’après lui bien plus enclines à la discipline et à l’empathie) qui sont souvent ancrés dans une sorte de paradoxale mutisme d’hyperactivité, centrés sur eux-mêmes et au pire soignés par d’innombrables petits cachets de ritaline, permettant ainsi aux adultes qui devraient leur servir de guides, à leur tour de ne se centrer que sur leur monde et en quelque sorte de se désolidariser. Par le prisme de la lumière de ses yeux bien éveillés, Frank Ruppert porte un regard assez acerbe sur ce qui l’entoure, notamment au Luxembourg – mais à travers sa propre passion et son parcours d’artiste martial tardif, il fait réellement don de soi et en véritable pédagogue confirmé et comme une sorte de père de famille, il offre des impulsions positives qui semblent germer dans les esprits de ses élèves. Il en est heureux et fier, justement parce qu’il ne demeure plus au centre de l’intérêt.