Secret bancaire

Les plombs qui sautent

d'Lëtzebuerger Land du 15.07.2010

Un ancien directeur d’une banque privée s’est fait condamner mercredi 7 juillet à six mois de prison avec sursis et une amende de 2 000 euros pour vol domestique et violation du secret pro-fessionnel. Il devra également payer l’euro symbolique en répa-ration du préjudice subi par son ancien employeur, partie civile dans le procès peu ordinaire d’un quadragénaire, qui fut le « Monsieur anti-blanchiment » d’une banque privée et qui a reconnu lui-même avoir « pété les plombs » en essayant de se venger contre deux de ses hauts dirigeants en faisant croire qu’ils avaient transmis des documents confidentiels de la banque aux autorités étrangères ainsi qu’à la presse. L’homme est allé finalement se dénoncer lui-même à la mi-septembre 2009 de vol de documents commis quelques mois plus tôt, entre avril et mai. La direction lui fit signer ses aveux dans une déclaration écrite.

Comment se venger de ses chefs qu’il considère comme respon-sables de sa « grande détresse » ? Monsieur X1, directeur du compliance, se sent victime de harcèlement de la part de deux des dirigeants de l’établissement, l’un membre du comité exécutif, le second faisant partie du comité de direction. X met alors en place un stratagème destiné à faire « tomber » ses chefs. Dans une première étape, il subtilise des documents confidentiels. Facile puisqu’il occupe des fonctions de compliance. À partir de ces pièces, il va greffer une histoire : un texte de huit pages dont une partie inventée, « sans rapport avec la réalité », avec des noms (sans doute réels pour mériter une qualification de violation du secret professionnel en infraction de la loi de 1993 sur le secteur financier), des numéros de compte, des mouvements financiers et des schémas de montages financiers. Il prend soin de faire traduire son texte (les éléments confidentiels en avaientété retranchés) en portugais par l’une de ses connaissances. Dans une seconde étape, il transmet son texte ainsi que la copie des pièces volées au régulateur portugais des banques, au Parquet de Lisbonne et à la rédaction d’un journal. Il adresse également une copie au siège d’une société au Portugal. On est là à la fin du mois de juin. Ses envois ne suscitant aucune réaction, il vise la Suisse : la FINMA, le régulateur helvétique du secteur financier, le Bureau suisse de lutte anti-blanchiment et la rédaction d’un quotidien suisse ont à leur tour une copie du dossier ficelé par ses soins. X ne laisse pas de trace derrière lui. Une fois sa correspondance envoyée, il en détruit les traces, jusqu’à la clé USB sur la-quelle il avait sauvegardé ses textes.

La réaction vient fin août : X reçoit une lettre du Parquet de Luxem-bourg qui demande à la banque de s’expliquer sur une transaction suspecte qui lui a été communiquée par des autorités étrangères. Dépassé par les évènements qu’il a lui-même déclenchés, le compliance officer se dit à ce moment-là qu’il a commis une belle bévue. Pris de remords, il va mettre plus de trois semaines avant de se dénoncer à la direction de sa banque. L’établissement informe de l’affaire la CSSF, laquelle en informe à son tour le Parquet de Luxembourg, suspectant X de violation du secret professionnel.

Y a-t-il eu infraction à l’article 41 (1) de la loi de 1993 sur le secteur financier qui oblige les professionnels à garder le secret ? Or, cette obligation n’existe pas à l’égard des autorités nationales et étrangères chargées de la surveillance prudentielle. Encore faut-il que la transmission de document à un régulateur étranger se fasse par l’intermédiaire de la maison-mère ou de l’actionnaire ou associé compris dans cette surveillance, étape que X a évi-demment grillée. De plus, des documents ont été envoyés à des entités privées. Pas de doute possible pour le tribunal qu’il y a bien eu violation du secret bancaire. La question à trancher pour le tribunal fut donc plutôt celle de la gravité des infractions, en tenant compte toutefois des aveux de prévenu et probablement aussi du contexte qui le poussa à commettre ce geste. Le prévenu évoqua à l’audience le climat de travail « exécrable » au sein de la banque. Ça lui a sans doute valu la clémence des juges.

1 Le nom est connu de la rédaction.
Véronique Poujol
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