Leur rencontre était des plus improbables: Pinuccio Sciola, l'ogre aux mains énormes, formées par le travail de la pierre, est sculpteur en Sardaigne. Claude Lenners, compositeur et professeur au Conservatoire municipal, vit reclus chez lui, attelé au travail de composition contemporaine, dans laquelle il excelle. Et Yann Tonnar, anciennement journaliste free-lance chez RTL Tele Lëtzebuerg, où il produisit d'inoubliables séries de reportages sans voix off, notamment sur la vie des campeurs, passé depuis par une solide formation de cinéaste au New York Film Institute, oscille entre différentes activités dans la jeune scène culturelle luxembourgeois. Tantôt pour réaliser des vidéos pour les pièces de théâtre de son frère Serge (Schlof Këndche Schlof) ou des clips pour Zap Zoo, tantôt pour écrire des critiques de film au Land, tantôt pour réaliser les clips électoraux de La Gauche, qui se sont démarqués par leur originalité… Toujours avec le but de vivre du cinéma et de réaliser ses propres films. Que ces trois hommes aux parcours si différents, vivant chacun dans son univers, aient quand même travaillé ensemble, nous le devons à l'Agence luxembourgeoise d'action artistique (Alac). Dans le cadre de l'exposition de sculptures en plein air de Pinuccio Sciola, instiguée par Jean Reitz de l'Alac, elle a passé commande à des compositeurs contemporains luxembourgeois - Marcel Wengler, Marcel Reuter, Camille Kerger et donc Claude Lenners d'écrire des compositions pour ces pierres basaltiques que Sciola a travaillées de façon à ce qu'elles résonnent. Les oeuvres des trois premiers furent créées lors d'un concert exceptionnel le 14 juillet dernier (voir d'Land 30/04) à l'Abbaye Neumünster, alors que celle de Claude Lenners fut destinée au film d'accompagnement commandité à Yann Tonnar. Si Samsa Films aime à dire que sa série de courts-métrages Portraits d'artistes est non seulement une «rencontre entre un artiste et un cinéaste», mais aussi une sorte de carte blanche accordée à de jeunes réalisateurs, ce film, qui a été tourné avec peu de moyens et qui résulte de cette rencontre à trois est à coup sûr une réussite. Car Yann Tonnar, qui a non seulement réalisé, mais aussi filmé et monté ces quelque cinq minutes d'images, montre une rare sensibilité pour le matériau. Non seulement le matériau inerte qu'est la pierre, ou visuel, l'île de Sardaigne où les images furent tournées, mais aussi pour le matériau sonore, la composition de Claude Lenners. Extrêmement nerveuse, avec des sons presque extraterrestres, elle forme un contrepoint aux images éternelles, immuables, captées par la caméra: la mer devant les falaises, les moutons devant les sculptures qui ressemblent à des menhirs, des parcs de sculptures devant un ciel rougeoyant et des palmiers, par moments on se croirait dans un documentaire sur les dinosaures… Il pleut tout le temps, ou alors la pluie vient juste de cesser, il y a cette moiteur dans l'air qui contraste encore une fois avec la froideur des pierres. Yann Tonnar entre dans la pierre avec sa caméra, il essaye de rendre visibles ces «morceaux d'étoile» que Sciola soupçonne enfermées dedans, traque «l'électrocardiogramme de la pierre» dont parle l'artiste dans l'interview (menée par Claude Moyen) et répond en même temps visuellement au son irréel de Claude Lenners. Il joue avec le flou et la profondeur de champ, fait contraster les géométries rigides des blocs taillés dans la pierre avec leurs crêtes aux formes organiques... Et a réussi un tour de force: on peut ne pas accrocher avec l'art de Sciola mais être fasciné par ce film de musique et d'art.
Le film Pierres sonores de Yann Tonnar, avec les sculptures de Pinuccio Sciola et une musique originale composée par Claude Lenners fut produit par l'Association luxembourgeoise d'action culturelle. D'une durée de 5,40 minutes, il est montré dans le cadre de l'exposition de Pinuccio Sciola dans la ville, qui se termine le 12 septembre, et existe en format DVD. Pour plus d'informations, téléphoner au 46 49 46.