Doit-on craindre un Dieu qui passe ses journées en robe de chambre à carreaux en jurant comme un charretier ? Qui s’est fixé comme règle élémentaire de trouver l’emmerdement ultime à faire subir à l’humanité ? Pour Ea (Pili Groyne), sa fille, la question ne se pose plus. Un tour dans le tambour de la machine à laver et la voilà partie dans les rues bruxelloises pour trouver six nouveaux apôtres, histoire d’avoir une équipe complète, comme au baseball. Avant, elle commet le pire : un petit SMS à chaque humain pour lui communiquer officiellement sa date de décès. Ça s’agite pas mal dans la capitale belge et surtout, Dieu le père (Benoît Poelvoorde) est furax. Après avoir râlé une dernière fois sur sa femme (Yolande Moreau), il part chercher sa fille, laquelle est bien décidée à réécrire... Le tout nouveau testament. Heureusement, il y a Victor (Marco Lorenzini), clochard élégiaque, qui va la seconder dans cette grande entreprise et découvrir avec elle les nouveaux apôtres en quête d’un sens à donner à leurs vies. Interprétés par Catherine Deneuve, François Damiens, Laura Verlinden, Serge Larivière, Didier de Neck et le jeune Romain Gélin, ceux-ci servent d’étapes à une dramaturgie un peu à la peine.
Car ce n’est pas franchement là qu’excelle l’auteur-réalisateur Jaco Van Dormael. L’idée de départ, devenu l’accroche du film, est à la fois loufoque et simplissime : Dieu existe. Il habite à Bruxelles. Le reste n’est que personnages aussi adorables qu’improbables, trouvailles visuelles et dialogues acérés. Mais le cinéaste, qui propose ici son quatrième long-métrage, parvient à aller au-delà de l’exercice de style. À travers l’errance d’Ea, Jaco Van Dormael, sous couvert de tragi-comédie poétique, soulève de sacrées problématiques sur la place de la famille, le féminisme, le rapport à la religion. Surtout, il regarde ses contemporains s’exciter : Dieu étant lui-même un créateur odieux, l’Homme est à son image. Dans un style poétique et surréaliste qui n’est pas sans rappeler Jean-Pierre Jeunet et Michel Gondry, Jaco Van Dormael s’arrange avec l’idée même de l’existence. Ea n’est pas loin d’Amélie Poulain, la naïveté en moins et la Belgique en plus. La vengeance envers ce Dieu n’est qu’un prétexte pour enfin réveiller ces hommes et ces femmes qui vivent dans les regrets, la jalousie ou la peur.
Et au-delà d’une mise en scène et d’une esthétique remarquables, ce qui frappe, dans le cinéma de Jaco Van Dormael, c’est bien la force de ses personnages, finement construits. Le cinéaste prend le temps de les installer au cœur de son dispositif, de raconter leur histoire. Ici, les personnages secondaires ne sont pas de simples illustrations, des alibis pour faire avancer l’histoire avec quelques indices. Ils sont le film, son épine dorsale. Le réalisateur s’attarde sur l’entrain de Victor (superbement interprété par le luxembourgeois Marco Lorenzini), la folle histoire d’amour de Martine (Catherine Deneuve, dont le culte est enfin mis de côté) ou la naissance de l’obsession de Marc (Serge Larivière). Et bien sûr, la femme de Dieu (inénarrable Yolande Moreau), délaissée, moquée, et qui prend sa revanche sans même le savoir.
Co-produit par David Grumbach, de Juliette Films, et donc tourné en partie au Luxembourg, Le tout nouveau testament fut la surprise de la Quinzaine des réalisateurs au dernier Festival de Cannes. Difficile en effet de rester indifférent à cette bible ludique, irrévérencieuse et loin du consensus régnant sur le cinéma actuel.