L’image traditionnellement associée à l’assurance est celle d’une profession tranquille, bénéficiant d’une grande stabilité. Certains signes conduisent cependant à se demander si ce tableau n’est pas en train de changer ; et si les assureurs, habitués à naviguer en mer calme, ne doivent pas se préparer à affronter des temps difficiles.
C’est ainsi que l’organisation professionnelle des assureurs luxembourgeois (ACA) relève dans son dernier rapport annuel que l’activité d’assurance s’exerce désormais « dans un monde plus incertain ». Et le document de présentation du Life insurance summit 2012, une manifestation professionnelle qui se tiendra prochainement à Luxembourg, dresse un constat du même ordre en soulignant qu’un environnement changeant place aujourd’hui les assureurs-vie devant de graves choix stratégiques.
L’actualité s’est chargée de donner consistance à ces avertissements. En France, l’assurance-vie, longtemps considérée comme le placement-fétiche des épargnants, a connu durant l’année écoulée une décollecte historique qui a conduit l’ensemble de la presse à s’interroger sur « la fin de l’âge d’or de l’assurance vie ». Et au Luxembourg, le premier assureur-vie de la place vient de rendre public un « plan de reconfiguration », terme abscons qui recouvre une réalité amère : la suppression du quart des effectifs de l’entreprise, enrobée dans l’annonce d’un important programme d’investissements.
Parmi les évènements qui affectent le métier d’assureur, certains concernent l’ensemble des activités d’assurance ; tandis que d’autres s’appliquent plus particulièrement à l’assurance-vie, dont on sait le développement spectaculaire qu’elle a connu au Luxembourg depuis le début des années 1990.
Dans la première catégorie figure un élément de nature réglementaire : la réforme de la marge de solvabilité décidée par la directive européenne Solvency II, adoptée en 2009 et qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2014. Cette directive substitue à un système simple, qui n’avait pas démérité puisqu’aucune compagnie d’assurance européenne n’a eu besoin d’un sauvetage public du fait de la crise, un dispositif compliqué. Actuellement, il suffit d’appliquer un pourcentage aux primes ou sinistres (assurance non-vie) ou aux provisions mathématiques (assurance-vie) pour connaître le montant de la marge de solvabilité à constituer. Dans l’avenir, ce montant dépendra du profil de risque spécifique à chaque entreprise d’assurance. Chaque assureur sera ainsi contraint de procéder à une analyse approfondie de tous les types de risques auxquels il est exposé : risques d’assurance ; risques de perte de valeur des investissements qu’il détient (risque de marché, risque de crédit) ; risques opérationnels (par exemple malversation ou défaillance du système). De cette analyse découlera le niveau des capitaux propres exigés par la nouvelle réglementation. La profession dans son ensemble a réagi défavorablement à cette réforme. Elle la juge complexe à mettre en œuvre, surtout pour les entreprises de taille modeste ; contraignante pour la stratégie d’investissement des assureurs qui seront tentés de se détourner des placements dans les entreprises, considérés comme les plus risqués ; et au final génératrice d’un alourdissement des coûts de l’assurance et d’une diminution du rendement des produits d’épargne. Il reste que la réforme Solvency II est en marche et que seules certaines modalités d’application restent encore en discussion. Une fois en vigueur, elle devrait garantir aux assurés une protection mieux adaptée à la situation concrète de l’assureur. Mais le prix à payer est élevé, non seulement en raison des contraintes nouvelles imposées aux assureurs, mais aussi à cause de la charge de travail supplémentaire nécessaire pour contrôler l’application de la nouvelle réglementation. Laquelle sera fatalement répercutée sur les compagnies par une augmentation des taxes destinées à financer l’autorité de contrôle (Voir d’Land du 8 juin 2012).
Dans le même temps, les assureurs sont confrontés à un environnement économique et financier particulièrement difficile, où la mauvaise tenue des marchés boursiers se double d’une crise sans précédent des dettes souveraines au sein de la zone euro. Le métier d’investisseur que les assureurs exercent à l’actif de leur bilan, et qui contribue de façon significative à leur résultat, s’en ressent douloureusement en raison de dépréciations d’actifs et d’une décrue du rendement général des placements. Au point que l’ACA a déploré dans son rapport 2011 un « effondrement (- 49 pour cent) » des résultats des entreprises. Encore peut-on se réjouir qu’au Luxembourg le secteur de l’assurance reste dans son ensemble bénéficiaire, ce qui ne semble pas être le cas dans certains pays voisins.
La dégradation des rendements des actifs affecte tout particulièrement les produits d’assurance-vie d’épargne, qui occupent une place dominante dans l’activité des assureurs luxembourgeois. Les produits en unités de compte, c’est-à-dire liés à des fonds d’investissement, souffrent des mauvaises performances de la bourse et sont délaissés par la clientèle au profit des contrats en euros à rendement garanti. Pour servir ce rendement, les assureurs s’appuient essentiellement sur les obligations d’État, considérées par la réglementation comme les placements les plus sûrs. Ce postulat s’est brisé devant la crise des dettes souveraines, en sorte que les assureurs doivent désormais choisir entre des actifs offrant une bonne rentabilité faciale, mais risqués, et des actifs sûrs comme par exemple les obligations d’État allemandes, mais dont le rendement est très faible. Dans ces conditions, servir à la clientèle une rémunération attractive constitue un exercice délicat.
D’autres menaces planent encore sur l’assurance-vie, dont la principale est de nature fiscale. Historiquement, l’assurance-vie bénéficie dans la plupart des pays européens d’un régime fiscal plus favorable que les autres produits d’épargne, ce qui contribue grandement à son succès. Or, la nécessité où se trouvent nombre d’États de restaurer leurs finances publiques par la levée d’impôts supplémentaires risque de remettre en cause, totalement ou partiellement, les faveurs fiscales attachées à l’assurance-vie ; et donc de diminuer singulièrement son attrait pour les épargnants. Le problème revêt au Luxembourg une dimension particulière, car les assureurs locaux ont développé, avec le concours de banquiers, des formules personnalisées de gestion patrimoniale à base de contrats d’assurance-vie à fonds dédiés. Ces produits d’assurance sophistiqués rencontrent sur le marché international un vif succès auprès d’une clientèle haut de gamme pour qui ils constituent un remarquable outil non seulement de gestion, mais aussi de transmission patrimoniale. Leur avenir est largement suspendu au maintien des avantages fiscaux qui y sont liés.
Dans un tel contexte, les performances de l’assurance luxembourgeoise publiées par le Commissariat aux assurances pour le premier trimestre 2012 méritent d’être particulièrement saluées : le secteur a retrouvé une croissance vigoureuse avec une collecte de primes, toutes branches confondues, en progression de 38 pour cent par rapport à la même période de l’exercice précédent. On se rapproche ainsi du niveau record enregistré lors de l’année 2010, qui avait été qualifiée d’exceptionnelle. Si ces bons chiffres se confirment durant les trimestres à venir, on pourra en conclure que les assureurs luxembourgeois ont su s’adapter à l’environnement incertain qui entoure désormais leur métier.