Couacs autour d'un grand chantier

Valeur ajoutée

d'Lëtzebuerger Land vom 04.04.2002

David Harley nous écrit par e-mail: «Je suis heureux de confirmer que le Président Cox se rallie, comme il se doit, sans réserve aucune à la position de son prédécesseur Mme Fontaine sur cette question, position définie dans un échange de lettres avec le Premier Ministre Monsieur Juncker de décembre 2000. Par conséquent je peux affirmer au nom du Président Cox qu'aucun autre transfert de poste n'est à l'examen pour la période au-delà de l'année 2004.» David Harley est le porte-parole de Pat Cox et la question était de savoir quelle était la position du nouveau président du Parlement européen vis-à-vis du Luxembourg comme siège d'une partie du secrétariat du PE.

Pourtant, la question n'était pas absurde car le 8 mars, le même Pat Cox avait envoyé une lettre univoque au Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. Il s'agissait alors des inquiétudes du personnel des bâtiments Schumann et Alcide de Gasperi (bâtiment Tour) quant à la sécurité des deux bâtisses durant les chantiers de la place de l'Europe. Et ce notamment après que, durant un exercice d'évacuation, le Comité consultatif pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ait constaté que l'avancée des chantiers bloquait désormais la majorité des voies d'évacuation prévues et qu'aucun autre plan n'eut encore été mis en place. Pat Cox demandait donc des garanties de mise en place de mesures de sécurité prévues. 

«À défaut d'une telle attestation écrite donnée par le gouvernement luxembourgeois (...), garantissant que toutes les conditions légales et réglementaires pour l'exploitation de ces bâtiments sont réunies, je me verrais contraint de proposer au Bureau (du PE. ndlr.) les mesures appropriées que je ne manquerai pas de vous communiquer. En plus de l'aspect financier qu'entraînerait pour le gouvernement luxembourgeois de telles mesures, celles-ci risqueraient d'ouvrir un débat plus large sur les conditions d'accueil du Grand-Duché de Luxembourg du secrétariat général du Parlement européen.» Un langage univoque qui ne laisse pas de doute sur la détermination du président du PE. Le 19 mars, le secrétaire général allait interdire l'accès aux deux bâtiments, «ce n'est qu'à l'issue d'une réunion au ministère des Affaires étrangères, le même lundi après-midi, que finalement la situation a été débloquée,» note Lambert Kraewinkels, le président du CPPT en question, dans une lettre publiée le 28 mars dans Le Jeudi. 

Quelques jours avant la constatation des failles dans la sécurité, le 3 mars, les syndicats avaient déjà virulemment protesté contre la fermeture de leur parking pour les mêmes raisons de chantiers, les nouveaux parkings souterrains en construction Place de l'Europe n'étant pas encore achevés. Le Fonds d'urbanisation du Kirchberg a donc mis en place un système de parkings provisoires et de navettes, mais visiblement, cette solution ne convenait pas au personnel. «Il est sûr que la réaction des fonctionnaires européens est humainement décevante, disait le président du Fonds Kirchberg dans une récente interview (Le Jeudi du 21 mars). Mais j'en fais abstraction, je constate simplement que la solidarité à laquelle nous avons fait appel n'existe pas.»

La «solidarité» demandée concerne l'acceptation des nuisances et gênes occasionnées par les méga-chantiers que le gouvernement a lancés l'année dernière place de l'Europe - construction des deux parkings, deux bâtiments tours, agrandissement et rénovation de la Tour actuelle, salle philharmonique (d'Land 21/01) etc. en vue de la prochaine présidence européenne que le Luxembourg assurera en 2005. Comme l'échéancier est extrêmement court, le Fonds met les bouchées doubles et malgré la mise en place d'un comité de coordination, les fonctionnaires et leurs syndicats craignent que leur droit à un environnement de travail décent est ignoré ou du moins relayé au deuxième plan.

Il est vrai aussi que les derniers communiqués plus qu'agressifs des syndicats sur le mauvais accueil au Luxembourg pourraient s'expliquer par la campagne pour les élections des comités des personnels qui ont eu lieu la semaine dernière, la campagne ayant durée plusieurs mois. «On devrait essayer maintenant de revenir à un dialogue constructif, estime Claude Turmes, député européen des Verts. On devrait rétablir cette alliance entre les fonctionnaires qui aiment être au Luxembourg et le gouvernement.» La mésentente ou au moins les frictions actuelles remonteraient à une mauvaise gestion du dossier de l'amiante trouvée il y a quelques années dans le bâtiment Tour.

Selon les chiffres publiés par François Colling lors de sa conférence de presse à la Cour des Comptes le 14 novembre dernier, il y avait en 2000 encore 2 202 fonctionnaires du Parlement européen au Luxembourg (contre 2 423 en 1996). «En ce qui concerne le Parlement européen, je ne me fais plus d'illusions, note le député socialiste luxembourgeois Ben Fayot, tous les services qui étaient politiquement intéressants ont déjà été déménagés.» Ne resteraient alors que des services plus techniques, comme le centre de traduction. 

Car pour Ben Fayot, la valeur ajoutée du siège européen n'est pas uniquement économique - les fonctionnaires investissent leurs salaires au Luxembourg, achètent des maisons, les colloques et réunions organisés par les institutions amènent des touristes etc. - mais elle est aussi culturelle, scientifique et surtout politique. «Cet aspect-là, nous l'avons trop souvent négligé,» continue le député, que Bruxelles et Strasbourg ont des lobbies bien plus efficaces pour leurs sièges, des investissements importants en infrastructures y ont été engagés bien avant le lancement des chantiers luxembourgeois.

Si Pat Cox a une réputation de lobbyiste pour Bruxelles plutôt que pour Strasbourg ou Bruxelles, il en va de même de Neil Kinnock, vice-président de la Commission européenne, en charge de la réforme administrative. Le 22 mars dernier, il adressa une lettre à Jean-Pierre Tytgat, président de l'Union syndicale des fonctionnaires européens à Luxembourg : «comme vous le savez, la DG Sanco (Santé, ndlr.) figure parmi les services identifiés dans le Rapport Chantraine et le document d'orientation de la Commission du 31.01.2001 comme souffrant d'une perte d'efficacité et des graves problèmes de gestion dû à sa présence au Luxembourg. Ces problèmes ont empiré endéans les deux dernières années.» 

Des accusations que les syndicats n'acceptent en aucun cas. Dans sa réponse datée 3 avril, Jean-Pierre Tytgat écrit : «Je ne puis accepter l'affirmation qu'en soi, l'installation à Luxembourg des unités de cette DG soit l'origine de problèmes ou de difficultés. Il suffit de faire le bilan de ces unités pour s'en convaincre. Ces difficultés trouvent leur origine dans un déséquilibre soigneusement entretenu par Bruxelles. Par des effets d'annonces, tout fonctionnaire a été dissuadé de venir s'établir au Luxembourg. Les services de l'ex-DGV et actuels DG Sanco G, Empl D/5 et ENV C/4 ont durant plus de trente ans, à effectif quasi-constant, produit un nombre considérable de textes législatifs en santé publique et sécurité du travail, contribué à la recherche Ceca et effectué des travaux scientifiques découlant du traité d'Euratom. 

Durant cette période, aucune appréciation défavorable n'a été portée à leur encontre par rapport à d'autre services.» Or, David Byrne, le commissaire responsable du secteur de la Santé semble vouloir regrouper tous ses services à Bruxelles. Depuis trois ans, la Commission tente de réorganiser et rationaliser ses services.

Si, en 1996, il y avait 3 099 fonctionnaires de la Commission européenne à Luxembourg, 3 364 en 1997 ce chiffre est en baisse depuis lors pour atteindre 2 989 personnes en 2000. La réforme prévue de la DG Sanco toucherait à nouveau quelque 400 fonctionnaires, qui viennent d'alarmer la presse luxembourgeoise, car ils ne veulent pas partir comme ils ont construit leur vie au Luxembourg, investi en immobilier et fait leurs amis et relations. 

Dans une approche offensive, les services touchés viennent donc d'élaborer un plan de création de deux nouvelles directions générales à créer au Luxembourg pour regrouper et élargir les services présents. Il s'agit d'une part d'une DG Santé qui regrouperait les services dans les domaines de la santé publique, de la santé environnementale et des produits et services de santé. La deuxième unité à créer serait la Direction générale de la Diffusion des connaissances. 

Une initiative que Claude Turmes et les Verts approuvent. «Je crois que ce serait faux de défendre des causes perdues, nous avons toujours plaidé pour une approche offensive, il faut voir ce qui fait sens au Luxembourg.» Le rapport Chantraine de décembre 2000 avait déjà recommandé à la Commission qu'elle «confirme le maintien à Luxembourg de Eurostat, de l'Office du contrôle de sécurité d'Euratom, d'une partie du Service de traduction, de la Direction informatique et de la DG Admin». Une partie de ces offices pourraient être regroupés dans la nouvelle DG que proposent les syndicats. 

L'initiative syndicale trouve aussi le soutien de Ben Fayot qui s'inquiète davantage des difficultés de recrutement des institutions établies au Luxembourg. «Peu de jeunes veulent venir ici, constate-t-il, car il n'y a guère de possibilités de faire carrière au sein de la Commission en étant au Luxembourg.» Puis il y a les lacunes dans le domaine des structures sociales, notamment pour l'accueil des enfants, le gouvernement vient seulement d'y remédier, l'École européenne vient d'être rénovée et agrandie, on pense à en faire construire une deuxième, puis il faudrait e.a. aussi des crèches. 

Car si le Luxembourg veut garder voix au chapitre, surtout après l'élargissement de 2004, il ne pourra plus uniquement tirer sa légitimité du fait d'avoir été parmi les pays fondateurs de l'Union. 

Il lui faudra une grande visibilité pour renforcer sa crédibilité politique. Claude Turmes affirme que l'élargissement vaudra aussi une consolidation du siège luxembourgeois des institutions. Car des organes comme la Cour de justice connaissaient déjà ces dernières années des croissances régulières - 955 personnes en 1996, 1 002 en 2000, toujours selon les chiffres publiés par la Cour des comptes. La Cour des comptes elle-même a augmenté ses effectifs de 514 à 546 personnes en l'espace de cinq ans. 

De nouveaux pays dans l'Union européenne amèneront aussi des fonctionnaires supplémentaires. Ironie de l'histoire: les accrocs récents entre Strasbourg et Luxembourg sont indirectement dus à la prise de conscience grand-ducale de cette nouvelle donne et au forcing nécessaire pour être prêt afin d'accueillir l'administration et la machine politique.

 

 

 

 

josée hansen
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