Exposer dans une banque est à la fois excessivement facile et très difficile. Facile parce que, une fois décidé de se lancer dans le mécénat culturel, l’institut financier se fait un honneur à mettre à disposition les moyens nécessaires pour la réalisation de l’exposition et d’un catalogue haut de gamme distribué à grandes brassées ; pour le vernissage, le champagne coule à flots, les visiteurs viennent pour l’événement social (et le buffet de qualité). Mais c’est en même temps difficile, parce que, en quittant le circuit hard-core de l’« artification » (terme forgé par les sociologues Nathalie Heinich et Roberta Shapiro), l’artiste doit s’accommoder d’espaces qui ne sont pas vraiment conçus pour une exposition d’art contemporain, ainsi que d’un public quotidien (dont une partie du personnel) qui jette à peine un œil sur les œuvres exposées. Pour Laura Mannelli, première lauréate de la nouvelle bourse en arts numériques de la Fondation Indépendance et du Fonds culturel national, le défi d’habiter un espace d’entrée fait de beaucoup de lumières avec un projet, The promises of monsters, qui se joue essentiellement dans la réalité virtuelle, donc logiquement via des écrans en tous genres, était encore plus grand.
Mais Laura Mannelli est premièrement architecte de formation, et deuxièmement une pionnière de la mise en valeur de mondes virtuels. Elle a donc pris le défi à bras-le-corps et ne s’en sort finalement pas trop mal. Avec une scénographie faite d’installations lumineuses sérielles, d’écrans mobiles pendant du plafond dans leur sachets-fraîcheur, d’éléments flottants et de contrastes ouvert/fermé, noir/blanc, elle arrive à s’approprier l’espace et à y faire régner une ambiance rigoureuse de science (-fiction). Pour elle, l’esthétique et la narration ont une importance égale. Et cette narration est celle d’une fiction selon laquelle, dans un futur proche, on aurait perdu les neuf premiers « meta-wanderer » – terme forgé par Margherita Balzerani pour décrire les errances virtuelles de nos avatars. Donc ces meta-wanderer, partis depuis le château d’eau du Rehberg à Hivange, qui, il est vrai, a quelque chose d’extraterrestre, de futuriste (architecte : Georges Reuter), pour participer à la première expédition de space-mining voulue par le ministre de l’Économie Etienne Schneider (LSAP), auraient mystérieusement disparus, après neuf années en activité. L’exposition est une sorte de cabinet de curiosités virtuel autour des objets qui leur auraient appartenus – et des images filmées de leur présence virtuelle inquiétante (images : Frédérick Thompson).
C’est alors que l’expérience devient difficile pour le spectateur qui se rend sur place sans avertissement : toute la portée de l’exposition, toute son expérience n’est accessible qu’avec une certaine connaissance de départ – et un équipement technique, téléphone portable ou tablette avec une application pour système d’exploitation Androïd. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on peut aller à la découverte des traces des personnages virtuels qui, en animations et en images numériques, apparaissent derrière des cartels ou dans des installations. Ils ne sont plus que des âmes perdues, des avatars, voire des chimères. Ce n’est donc pas si étonnant qu’à côté d’auteurs spécialisés en science-fiction comme Donna Haraway (à laquelle elle a emprunté le titre de son exposition), Laura Mannelli se réfère au classique des classiques, L’enfer de Dante et à sa mythologie inquiétante. D’ailleurs, l’installation constitue la suite logique de Near Dante experience, son couloir lumineux avec casque de réalité virtuelle montré l’été dernier dans le cadre de la Triennale jeune création aux Rotondes. Comme si, en presque sept siècles, et malgré toutes les innovations technologiques de l’homme, les craintes existentielles, cette peur d’être perdu ou de perdre, étaient restées sensiblement les mêmes. josée hansen