Le grand sourire de Erna Hennicot-Schoepges, qu'elle tentait de cacher derrière sa main droite, samedi dernier lors de la présentation des résultats des négociations de coalition de la semaine écoulée, était compréhensible. Le Premier ministre et formateur Jean-Claude Juncker venait d'annoncer les points d'accord en matière d'éducation - qui correspondent quasi intégralement au programme électoral de son parti. Forcément, la présidente du PCS avait du mal à cacher sa satisfaction, de savourer cette petite victoire sur le parti qui l'a si virulemment critiquée durant des mois. " Je me réjouis qu'aucune des grandes réformes que nous avons entamées dans le domaine de l'éducation n'est mise en doute, " commenta-t-elle brièvement. Avant d'énumérer ces " réformes entamées ", qui sont celles des instituts de formation pour éducateurs (IEES, Fentange) ou enseignants du primaire (Iserp, Walferdange), du CNFPC (qui deviendra un établissement public), du Centre de psychologie et d'orientation scolaire ou encore du Conseil supérieur de l'éducation nationale. L'autonomie financière des lycées, couplée à l'innovation pédagogique, sera généralisée ; la réforme si contestée des critères de promotion dans l'enseignement secondaire classique ne sera pas abandonnée. Dans le domaine de l'enseignement primaire, les " directeurs d'école " tels que voulait les introduire Erna Hennicot, et qui étaient rejetés par les syndicats, s'appelleront désormais " responsables " et leur nomination ne sera pas obligatoire - mais en fait, ils auront exactement la même fonction. Dans l'enseignement secondaire, la " dispense " sera abolie à partir de l'année scolaire 2001/2002, les élèves devront alors choisir entre l'éducation morale et sociale et l'instruction religieuse, mais ne pourront plus aller boire un pot entre deux cours. Cette mesure était prévue depuis la réforme des deux autres cours. Or, c'est sur ce point, symbolique, qu'il s'avère une nouvelle fois que le PCS a le bras le plus long dans les discussions de coalition : dans son programme électoral, le PDL annonçait encore l'abolition, à long terme, de l'instruction religieuse - un peu comme le Posl annonçait durant quinze ans la séparation entre l'église et l'État. Pour progressiste qu'il se veuille, le Parti chrétien social ne touchera certainement jamais aux acquis de l'église catholique. Ainsi, il a également été convenu, la semaine dernière, d'augmenter les aides financières aux école privées, majoritairement catholiques, notamment pour toutes les restaurations et constructions de bâtiments. Une des raisons invoquées par Jean-Claude Juncker étant le besoin persistant en infrastructures scolaires. Pour y remédier, le programme de constructions d'infrastructures supplémentaires tel que présenté en mars par la ministre, sera réalisé ; toutefois, les procédures seront accélérées. À l'époque, elle avait préconisé la construction de trois nouveaux bâtiments d'ici 2010, à implanter à Luxembourg-Ville (Gasperich), dans le canton de Redange et aux environs de Niederanven. Samedi, Jean-Claude Juncker ne parlait plus que de deux bâtiments, leur implantation ne serait pas encore définitivement décidée. Aucune des deux délégations ne semble détenir la panacée pour le deuxième problème majeur de l'éducation nationale, à savoir les besoins urgents en personnel enseignant. Pour combler les postes vacants, le nouveau gouvernement devrait engager quelque 240 enseignants par an durant six ans, mais l'on sait déjà aujourd'hui qu'il n'y aura pas assez de candidats dûment formés. Il sera donc en même temps réfléchi à une réorganisation du travail des enseignants actuels - il y a des " efforts considérables " à faire, selon Jean-Claude Juncker. Lydie Polfer voit une possibilité dans une refonte complète des programmes et une éventuelle abolition d'unités d'enseignement qui s'avéreraient superfétatoires. En gros, la politique de l'enseignement reste sensiblement la même que celle pratiquée dans le gouvernement PCS-Posl. Car il y a une arme infaillible à toutes les revendications, qu'elles viennent des parents d'élèves, des syndicats d'enseignants ou de l'ancienne opposition politique. Cette arme s'appelle " projet-pilote " et sert à geler tout mouvement. Ainsi, les grands dossiers de réformes seront expérimentées dans une ou deux écoles : les nouveaux rythmes scolaires avec le samedi libre et l'école continue, ou encore l'alphabétisation en français - tous existent déjà dans différentes communes ou bâtiments. Les deux partis ne semblent pas oser annoncer de réformes généralisées, qui seraient pourtant autrement plus utiles qu'un morcellement supplémentaire du système scolaire déjà peu homogène. Le renforcement du " dialogue " prôné par le PDL en période électorale sera incarné par des mesures encore plus vaines : outre l'introduction d'une " ombudsperson " dans tous les bâtiments, Lydie Polfer annonça une participation accrue des différents protagonistes de l'enseignement - chose que les lobbies revendiquent de plus en plus fort, souvent avec succès. La présence des parents d'élèves ou les élèves eux-mêmes est désormais souvent expressément évoquée dans les lois et règlements grand-ducaux, souvent au dépens des enseignants d'ailleurs. Or, cela n'est pas un mérite politique, mais le seul fruit de la professionnalisation du lobbying. La révision des programmes scolaires était devenue tout aussi incontournable : au Menfp, les préparations pour une telle révision sont déjà entamées, alors que Lydie Polfer voulait y voir une des percées du PDL. Elle annonça que les contenus des programmes de tous les enseignements offerts au Luxembourg seront analysés et réformés, du primaire au secondaire, toutes branches confondues. De nouveaux instruments d'évaluation de l'évolution de la carrière d'un élève devront permettre de prévoir et d'éviter l'échec scolaire. La loi scolaire de 1912 doit être complètement révisée, une autre évidence. C'est cela le changement, au Luxembourg. Il ressemble fâcheusement à l'inertie. Le nom du ministre et son appartenance politique n'y feront pas grand-chose, les tendances libérales de l'enseignement furent déjà bien entamées - comme l'autonomie financière des lycées. Ici, tout change parce que rien ne change.
josée hansen
Catégories: Politique de l'éducation
Édition: 01.07.1999