La directive sur les OPCVM IV ou Ucits IV en anglais, qui remanie substantiellement la directive initiale de 1985 (déjà plusieurs fois amendée), va entrer en vigueur le 1er juillet. Cette nouvelle mouture de la directive, sans être à proprement parler révolutionnaire, améliore le socle d’un marché européen des OPCVM intégré en facilitant l’offre transfrontalière. Elle intègre différentes mesures novatrices à même de pallier la fragmentation du marché européen et de permettre des économies d’échelle. Les actifs des OPCVM européens sont en effet cinq fois inférieurs à ceux de leurs homologues américains et donc de ce fait plus coûteux. Un regroupement permettrait d’en améliorer la compétitivité.
Cette refonte du cadre législatif communautaire des OPCVM a été initiée en 2006 par la Commission et a été rendue plus urgente par la crise des subprimes et l’affaire Madoff (bien qu’elle ne concerne pas le point sensible de la responsabilité des banques dépositaires). Son objectif est triple : améliorer l’efficacité et la transparence du marché des OPCVM dans l’Union européenne, renforcer la confiance des investisseurs et réduire les formalités administratives pour la commercialisation dans tous les pays de l’Union. Le Luxembourg a été le premier État membre à transposer la directive-cadre en droit national, par la loi du 17 décembre 2010, signifiant ainsi clairement sa volonté de mettre tous les atouts du côté de la place de Luxembourg dans ce secteur.
La directive Ucits IV introduit six mesures en vue de répondre aux objectifs qui ont été déterminés à la demande de l’industrie des OPCVM.
Tout d’abord, la directive simplifie et accélère la procédure de notification, par laquelle s’organise la distribution des actions ou parts de fonds contractuels ou organisés en société établis dans un État membre de l’UE vers des investisseurs d’un autre État membre. Les sociétés de gestion d’OPCVM auront à notifier leur intention de distribution transfrontalière à l’organisme de régulation de leur État membre, qui après vérification du dossier le transmettra par voie électronique à l’autorité d’accueil au plus tard dix jours ouvrables après réception (pour l’instant le délais est de deux mois). Il informera l’OPCVM de la transmission du dossier, ce qui déclenchera le feu vert pour la commercialisation dans l’État membre d’accueil. Cette procédure harmonisée online allège la charge administrative et réduit le délai de commercialisation de ces produits. Néanmoins, certaines autorités de régulation ne seront pas prêtes au 1er juillet et cette transmission ne sera pas aussi opérationnelle que ce qui était souhaité.
En second lieu, la directive Ucits IV rend réellement opérationnel le passeport pour la société de gestion, ce qui n’avait pas été assez clair dans la précédente révision. Les sociétés de gestion d’OPCVM détentrices d’une autorisation dans un État membre pourront exercer leur activité transfrontalière dans d’autres États de l’UE sans avoir à créer de filiale soumise à un nouvel agrément ou à déléguer la gestion à une autre société. Elles pourront donc utiliser soit la libre prestation de services soit établir une succursale dans un ou plusieurs autres États membre. Elles devront alors se conformer aux règles comptables et fiscales tant de l’État d’origine que du ou des États d’accueil. Il n’y a aucune obligation de résidence pour l’administrateur de fonds, et la banque dépositaire doit être localisée dans l’État de domicile du fonds. « Cette mesure va introduire une différenciation des acteurs par leur offre de service » souligne un document de CACEIS.
L’instauration d’une procédure harmonisée pour toute l’UE permettant les fusions domestiques et transfrontalières de fonds OPCVM constitue un troisième volet important de la nouvelle directive. Cette mesure devrait favoriser davantage la fusion de fonds de taille modeste en vue de la création de « gros », voire de « mega » fonds à distribution transfrontalière et rationaliser l’offre de fonds surtout au niveau transfrontalier.
L’adoption de la structure « maître-nourricier » (master-feeder), valable dans certain types de fonds d’investissement spécialisés notamment, va désormais s’appliquer aux fonds OPCVM. Complétant la précédente mesure sur les fusions, en vue de rationaliser l’offre européenne et d’augmenter la taille des fonds, elle favorisera la fusion d’actifs en offrant la possibilité à un fonds nourricier, généralement domicilié dans le pays de l’investisseur, d’investir un minimum 85 pour cent de ses actifs dans un fonds-maître qui peut être domicilié dans un autre pays. Mais pour permettre aux autorités compétentes d’assurer une surveillance efficace et assurer une protection des intérêts des investisseurs, notamment dans un cadre transfrontalier, un OPCVM nourricier ne pourra pas investir dans plus d’un OPCVM maître. Cette nouvelle mesure répond aux attentes des promoteurs et des parties prenantes et facilite la création rapide de fonds maître-nourricier, mais elle sera obérée par la non-harmonisation des différents niveaux de fiscalité entre États membres concernés.
Pour Charles Muller, directeur général adjoint de l’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (ALFI), compte tenu de cette incertitude fiscale « tant les fusions que la structure maître-nourricier ne seront réellement mises en application que plus tard – cela peut se compter en années –, quand les États membres se seront accordés au moins sur des mesures de neutralité fiscale ». Une étude de KPMG et de l’Association européenne des sociétés de fonds et de gestion d’actifs (Efama), publiée en septembre 2010, met en exergue les incidences de ces obstacles fiscaux et préconise l’instauration à tout le moins de mesures garantissant la neutralité fiscale des fusions de fonds et sur les flux de trésorerie entre les fonds-maîtres et nourriciers. Elle recommande aussi la mise en place de règles uniformes régissant la résidence fiscale des fonds et le lieu de constitution et d’enregistrement.
Pour accroître la transparence et améliorer l’information aux investisseurs, le prospectus simplifié, souvent considéré comme difficilement compréhensible, sera remplacé par un nouveau document au contenu et au format harmonisés intitulé Key Investor Information Document (KIID), qui fournira gratuitement des informations succinctes sans être techniques sur le produit commercialisé (lire en page 19).
En dernier lieu, la directive instaure une meilleure coopération entre autorités de surveillance nationales et clarifie leurs obligations réciproques en vue de renforcer le contrôle des OPCVM et des sociétés de gestion, les autorisant à mener ou diligenter par des experts des investigations dans d’autres États lorsque sont suspectées des irrégularités. Ces autres autorités de contrôle peuvent néanmoins s’opposer à une telle coopération lorsque la souveraineté de l’État est en question ou si une procédure judiciaire est déjà engagée ou qu’il a déjà conclut sur la même affaire suspecte. La directive fait converger les pouvoirs dont disposent les autorités de surveillance compétentes afin de parvenir à un niveau égal de mise en application de la directive dans tous les États membres. Elle préfigure en cela la communication de la Commission du décembre 2010 relative au renforcement des régimes de sanctions dans le secteur des services financiers au sens large, qui entend pallier au problème des divergences en la matière entre États membres rendant les sanctions peu dissuasives.
Selon une étude détaillée menée en 2010 par Clifford Chance, ce cadre législatif créerait de substantielles opportunités, permettant au secteur des OPCVM de partir sur de nouvelles bases, une sorte de « nouveau départ », correspondant aux attentes de l’industrie. Vincent Ingham de l’Efama est plus réservé et s’il reconnait les apports de Ucits IV, il souligne cependant que les retards de transposition de certains États (Pologne, Finlande, Suède, Pays Bas, entre autres) et les problèmes fiscaux vont introduire des incertitudes pour les acteurs de l’industrie qui vont différer leurs décisions sur d’éventuelles distributions transfrontalières. Le cabinet de conseils Eurogroup va plus loin dans son étude d’impact de la directive sur l’industrie de la gestion d’actifs en Europe publiée en janvier dernier : il considère que ce corpus législatif « améliore le présent mais ne prépare pas forcément l’avenir ». Les auteurs de l’étude soulignent en effet que la distribution transfrontalière était déjà possible dans le cadre de Ucits III et avec l’essor des plates-formes de distribution au Luxembourg et en Irlande et que certes le passeport européen empêchera les tentatives de protection de certains marchés (en France notamment). Et si seules neuf sociétés de gestion sur 40 interrogées envisagent d’utiliser Ucits IV pour étendre leur présence à l’international, c’est parce qu’elles estiment coûteux les frais afférents au KIID en plusieurs langues ou à la mise en place d’équipes commerciales pour les pays visés par l’extension de la distribution des fonds et très préoccupantes les incertitudes fiscales.
En outre, le fait que ne sont pas abordées les questions touchant à la responsabilité du dépositaire, ni des métiers d’administrateurs et de centralisateurs de fonds rend l’architecture législative quelque peu bancale. Ce qui justifie que soit poursuivie sans retard la procédure entamée par la Commission d’un volet complémentaire, dénommé Ucits V, qui, dans le prolongement des dispositions introduites par la directive AIFM, devrait déterminer un cadre européen pour la gestion alternative au sens large (fonds non-Ucits ou alter-Ucits) et clarifier la responsabilité des banques dépositaires ainsi que la rémunérations des dirigeants d’OPCVM et de fonds alternatifs. En ce sens, Charles Muller estime que « ce n’est qu’une fois que seront transposées les directives AIFM et Ucits V tirant les leçons de la crise que les conditions seront réunies pour un véritable essor du marché luxembourgeois, qui ne se limite pas aux seuls OPCVM, mais englobe aussi les fonds alternatifs. Sans oublier la résolution des questions fiscales. Cela prendra au moins deux ans ».