La semaine passée, la Commission européenne a annoncé vouloir agir sur le prix de l’énergie. Presqu’un an après la publication d’un premier rapport abordant cette thématique jugée pénalisante pour l’industrie et les ménages européens. Le 17 avril 2024 était présenté, lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen, un document intitulé « Beaucoup plus qu’un marché » (More than a market) explorant des pistes pour réformer le marché unique afin de l’adapter aux grands défis mondiaux auxquels l’UE doit faire face. Plus connu sous le nom de « rapport Letta », du nom de l’ancien président du conseil italien qui a supervisé sa rédaction, il mettait en cause le prix élevé de l’énergie comme un des facteurs affectant le plus la compétitivité européenne. Moins de cinq mois plus tard, le 9 septembre 2024, c’était au tour d’un autre ancien président du conseil italien, mais aussi ex-président de la BCE, Mario Draghi, de remettre à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, son rapport sur le futur de la compétitivité de l’Europe, commandé à l’automne 2023. Comme le précédent, il évoque clairement le prix de l’énergie comme une cause majeure du manque de compétitivité de l’Europe.
Ces deux documents émettaient des préconisations que la Commission européenne a reprises à son compte le 26 février 2025 en présentant, à côté de son Pacte pour une industrie propre, un « plan d’action pour une énergie abordable » destiné à en faire baisser les prix au cours des cinq prochaines années, et si possible au-delà. Les prix de l’énergie dans l’UE étaient, avant même les hausses de 2022, nettement supérieurs à ceux enregistrés aux États-Unis et ils le sont restés : de ce côté-ci de l’Atlantique l’électricité « au détail » est deux à trois fois plus chère, le gaz quatre à cinq fois plus, avec des effets délétères pour les ménages comme pour les entreprises.
Selon Eurostat, la précarité énergétique, mesurée par l’incapacité à chauffer convenablement son logement, touche un ménage sur dix en Europe, une proportion nettement plus élevée dans certains pays d’Europe du sud (Portugal, Espagne, Grèce, Chypre) et parmi les populations les plus vulnérables. Bien que les prix varient fortement d’un pays à l’autre, surtout pour l’électricité, en moyenne les dépenses d’énergie pèsent de plus en plus lourdement dans les budgets. Au Luxembourg, la suppression du plafonnement des prix de l’électricité depuis le 1er janvier devrait entraîner une augmentation de la facture de près de trente pour cent, alors que selon le Statec, pour les vingt pour cent des ménages les plus modestes, l’électricité pèse en moyenne près du tiers des dépenses totales d’énergie.
Côté industrie, pour une société de taille moyenne, les prix de détail de l’électricité étaient en 2023 deux fois supérieurs à leur niveau moyen de la période 2014-2020. Une situation qui sape la compétitivité des entreprises européennes et les incite même à délocaliser leur production dans des pays où les prix de l’énergie sont plus doux. Depuis 2021, l’Europe a observé une baisse de dix pour cent de sa production industrielle, mais il s’agit d’une moyenne, car certains secteurs gourmands en énergie (métallurgie, chimie, papeterie) ont été bien plus affectés.
Le plan de la Commission, dont l’objectif final est d’assurer la souveraineté énergétique des Européens, s’inscrit dans la continuité du plan « Invest in Europe » (2015-2020). Via le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), le « plan Juncker » avait entre autres pour vocation de financer la réalisation de grands projets industriels au sein de l’UE, en particulier dans l’énergie. La Commission fait feu de tout bois. Conformément aux préconisations du rapport Letta en faveur d’une accélération de l’intégration européenne dans la finance, les télécoms, l’énergie et la défense, Bruxelles estime qu’alors que « les consommateurs européens bénéficient déjà d’environ 34 milliards d’euros d’économies réalisées chaque année grâce au marché intérieur de l’énergie de l’UE, une intégration plus poussée pourrait déjà générer de tels avantages à hauteur de 40 à 43 milliards d’euros par an d’ici à 2030. »
Pour y parvenir, Bruxelles s’intéresse en priorité aux réseaux électriques, dont il s’agirait de standardiser les infrastructures sur le continent, ce qui permettrait de mieux les interconnecter et de les densifier. Il existe déjà depuis 2013 un règlement sur les réseaux énergétiques transeuropéens (RTE-E), révisé en 2022, destiné à faciliter le développement de projets importants d’intérêt commun. Un paquet législatif en faveur des réseaux européens (ou « European Grid Package ») sera soumis au Parlement en 2026. Il prévoit, conformément aux recommandations du rapport Draghi, de stimuler l’innovation, car les technologies d’amélioration du réseau ne sont pas encore largement déployées, alors qu’elles peuvent augmenter sa capacité de transport et réduire le coût de son expansion, faisant ainsi économiser des centaines de milliards d’euros.
La Commission souhaite également inciter les États membres à réduire leurs taxes nationales respectives sur l’électricité, en remettant sur la table la révision de la directive sur la taxation de l’énergie, qui date de 2003. Ils sont incités à tendre vers le minimum prévu par le texte, à savoir 0,5 euro par Mwh pour l’industrie. Au total l’objectif est de diviser par deux dans les années à venir le poids de la fiscalité sur l’électricité, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. Pour ce qui est des projets de développement d’énergies renouvelables (et du nucléaire) la Commission veut accélérer leur mise en œuvre en réduisant les délais d’obtention des permis d’installation, souvent rallongés par des obstacles bureaucratiques.
Le gaz, quant à lui, est particulièrement visé par la révision, qui interviendra en 2026, du cadre réglementaire relatif à la sécurité d’approvisionnement, avec comme objectif « d’assurer la disponibilité des ressources énergétiques à tout moment ». La Commission va se doter d’une équipe de surveillance du marché du gaz, afin d’éviter toute situation de forte hausse des prix à l’importation et d’anticiper d’éventuelles crises. Elle ne cache pas sa volonté « d’identifier des sources d’importations supplémentaires, compétitives sur le plan des coûts » pour le gaz naturel liquéfié (GNL). Sur un plan plus général, la Commission compte introduire une nouvelle conception des contrats entre producteurs d’énergie et entreprises consommatrices. Ainsi, d’ici à la fin 2025, en partenariat avec la Banque européenne d’investissement (BEI), elle lancera un « programme pilote » simplifiant les modalités de conclusion des contrats de gré à gré dans les énergies fossiles (29 pour cent du mix énergétique de l’UE) et leur combinaison avec les contrats liant déjà les producteurs d’électricité d’origine éolienne et solaire (ou d’électricité nucléaire, sur l’insistance de la France) aux autorités publiques. Du côté des particuliers, le changement de fournisseurs devrait être facilité car il permet de réaliser des économies (on cite le chiffre moyen de 200 euros par foyer et par an).
Simplifier la production et la distribution d’énergie, aussi bien sur le plan technique et matériel que d’un point de vue contractuel, devrait ainsi permettre de faire baisser les factures. L’objectif est très ambitieux. Dès 2026, et jusqu’en 2030, les économies seraient de 130 milliards d’euros par an et elles augmenteraient ensuite progressivement pour atteindre 260 milliards en 2040.
Le coût des mesures du « plan d’action pour une énergie abordable » n’a pas été évoqué, alors même que l’U.E va devoir affronter d’importantes dépenses avec le plan «Réarmer l’Europe», dévoilé le 4 mars, qui ambitionne de mobiliser près de 800 milliards d’euros.
Pour plusieurs experts il serait assez modeste, car limité à des incitations à investir dans les réseaux et à un manque à gagner fiscal. Pour le reste le plan correspond plutôt à un « choc de simplification ».
Décorréler
Réduire la facture globale d’énergie est rendu compliqué par la corrélation qui existe entre le prix du gaz naturel et le prix de l’électricité en Europe. Seize pour cent de la production d’électricité est réalisée par des centrales à gaz et le mécanisme de fixation des prix de l’électricité est déterminé par le « coût marginal de production », la dernière unité d’énergie produite, qui est souvent issue des centrales à gaz appelées à la rescousse pour répondre à la demande quand la consommation augmente. L’UE cherche depuis longtemps des solutions pour « décorréler » ces prix, notamment par des plafonnements des prix du gaz ou grâce à d’autres mécanismes pour fixer les prix de l’électricité, mais se heurte aux divergences entre États membres et à la complexité des marchés.
Le plan d’action proposé par la Commission prévoit de multiplier les contrats à long terme entre les producteurs d’énergie et les grandes entreprises pour parvenir à ce résultat. Une réforme adoptée en mai 2024 a introduit le mécanisme des Power Purchase Agreements (PPA). Conclus entre un producteur d’énergie (généralement renouvelable) et un gros acheteur (consommateur ou négociant en électricité), ils ont une durée allant de 5 à 25 ans, avec une moyenne d’environ 18 ans, ce qui sécurise l’approvisionnement des uns et garantit les revenus des autres. Concernant le gaz, où l’on a affaire à des producteurs situés en dehors de l’UE, des contrats à long terme doivent également être négociés, la Commission proposant de mutualiser les achats de gaz des plus importants acheteurs industriels pour obtenir des tarifs avantageux.