Il dit de son parcours qu’il est « typiquement atypique ». Jean-Marc Arnaudé a exercé une tonne de métiers avant celui de médiateur culturel indépendant qu’on lui connaît maintenant. Des métiers généralement très liés aux arts plastiques et visuels qui ont été autant de pierres pour construire ce qu’il est aujourd’hui. Étudiant en architecture, il est appelé à restaurer des œuvres d’art pour une exposition au CAPC de Bordeaux après celle au Reina Sofia de Madrid. On est en 1987, l’exposition retrace 25 années de collection d’Ileana Sonnabend. La grande galeriste a été celle qui a exposé, à Paris, New York et Genève, les pointures du Pop art, de l’Arte povera et du minimalisme. « Il s’agissait plutôt de refaire les œuvres qui n’avaient pas été conservées, en suivant les directives des artistes », se souvient-il en montrant une ancienne photo où il « construit » un Mario Merz. Cette première étape le fait entrer de plain pied dans le monde de l’art et désacralise son rapport aux œuvres.
Jean-Marc exercera dans la mode à New York où il sera designer de bijoux. Là aussi, le rapport à l’art est évident. « La mode est souvent très influencée, même inspirée par l’art. Je me souviens par exemple d’une collection de Jean-Paul Gaultier avec des imprimés d’œuvres d’Alphonse Mucha », relate celui qui, dans les allées de la foire Art Basel, voyait dans les œuvres exposées « comme une collection de tissus imprimés ». Plus tard, Jean-Marc Arnaudé, de retour en France, travaille comme tailleur de pierres où il apprécie « la simplicité des matériaux ». Il y a dix ans, il déménage dans notre région, côté français toujours, et découvre le Luxembourg. « J’allais voir toutes les expositions au Casino Luxembourg et au Mudam et je suivais régulièrement des visites guidées »… Sa vocation va bientôt se déclarer.
L’exposition L’Image papillon au Mudam en 2013, dont Christophe Gallois était curateur, puisait son inspiration dans l’œuvre de l’écrivain allemand W. G. Sebald, en s’intéressant aux relations complexes qui lient l’image et la mémoire. « C’était une exposition assez difficile qui demandait un vrai investissement intellectuel et sensible. La visite que j’ai suivie était passionnante et m’a permis de comprendre les œuvres exposées. Je me suis rendu compte du rôle crucial de la médiatrice qui nous guidait et qui réussissait, avec des termes simples à nous faire entrer dans cet univers. » Il décide alors de s’y essayer, découvrant un métier qui dépasse les clichés qu’on en fait dans les films « où le guide est souvent barbant et où personne ne l’écoute ».
Avec pour bagage sa bonne connaissance de l’art et sa façon de l’appréhender de façon simple et directe, Jean-Marc devient guide indépendant. Progressivement, ses visites sont appréciées, recommandées et il remplit désormais son agenda pour en faire un métier à plein temps. Chaque exposition est une occasion nouvelle de chercher des façons d’intéresser le public, de trouver des moyens de faire parler les œuvres et de « partager mon enthousiasme face à la poésie de l’art ». Moins attiré par l’art ancien, il se concentre d’abord sur les expositions d’art moderne et contemporain ou sur les arts appliqués, passé de designer oblige. « Après quelques visites à la Villa Vauban, je me suis lancé dans les expositions d’art ancien. Le plus intéressant est de faire des liens avec et la société de l’époque, avec l’histoire qui est parallèle aux tableaux. »
Pour préparer ses visites, Jean-Marc se base sur les visites-modèles et des dossiers que préparent généralement les commissaires d’expositions, parfois avec les artistes, et les services des publics des différentes institutions. Il complète avec de nombreuses lectures autour des artistes ou des thématiques abordées. « Il faut aussi lire la presse pour sentir l’état d’esprit des gens quand les sujets soulevés par les artistes sont potentiellement polémiques. » Pour mener à bien la visite, le médiateur prépare des fiches – « il ne faut jamais avoir honte de rechercher une date, un nom sur ses fiches » – se choisit un ou des coups de cœur, sur lesquels il pourra approfondir et réfléchit toujours à des « plans B », au cas où il y aurait trop de monde dans une salle par exemple.
Ses moments préférés sont ceux de l’échange avec les visiteurs. « Il faut savoir écouter les gens. Ils ont souvent des approches différentes face aux œuvres et apportent des éclairages nouveaux. J’apprends aussi avec eux. » Il se souvient par exemple des anecdotes racontées sur le sculpteur Charles Kohl qu’une visiteuse avait bien connu ou de l’émotion d’un ancien ouvrier face à une machine de Tinguely où il reconnaissait les rouages semblable à ceux qu’il avait maniés. Il raconte aussi comment, dans l’exposition If Then Else de Lab[au] au Casino Luxembourg, des visiteurs qui travaillaient dans le domaine des statistiques ont « utilisé les clefs que je leur proposais pour éclaircir eux même l’œuvre et réalisant à quel point elle s’adressait à eux ».
« Des visites, il faut en faire beaucoup, souvent. L’une nourrit l’autre, ça grandit en soi », estime celui qui finit toujours ses tours en indiquant une autre exposition à visiter, « par exemple dans des lieux que les visiteurs ne connaissent pas forcément, comme les centres d’art de Dudelange. »
Bien évidemment, il faut s’adapter aux différents publics. Jean-Marc aime notamment guider les enfants « qui sont très gâtés par l’offre proposées de visites et d’ateliers ». Il mesure aussi les enjeux sociaux de l’accès à la culture quand il accompagne certains groupes comme des réfugiés ou des personnes fréquentant l’École de la deuxième chance. « C’est très important de ne pas négliger ces publics et de leur apporter des connaissances et des clés de compréhension de l’art. » Un grand écart quand il s’agit de guider des avocats ou des banquiers dans les allées de la Luxembourg Art Fair où il présente les galeristes et parle du prix des œuvres. Un grand écart que le médiateur apprécie pour la diversité des approches que cela l’oblige à faire.