Un lacet arraché en voulant le nouer. Une nuque mal rasée sur laquelle vient se glisser une veste en cuir abîmée. Un meublé miteux. Avec parcimonie, Max Jacoby installe son personnage, Patrick, qui se prépare à sortir de chez lui. Dès les premiers plans, la lumière du jour qui entre est filmée comme une agression. L'univers de Butterflies, le troisième court-métrage du jeune réalisateur luxembourgeois Max Jacoby (né en 1977), est clairement délimité : un appartement meublé, la maison des voisins, la rue, le commissariat de police. Tout ici se passe dans le voisinage, dans la proximité. Patrick est au chômage et vient d'emménager dans la rue – dans le quartier dans lequel il a grandi, comme on apprendra plus tard. Il est le dernier à avoir vu une petite fille qui s'est noyée dans le canal, la police enquête. Pourquoi n'a-t-il pas tenté de la sauver ? « Ne sachant pas nager, j'ai préféré appeler la police, » s'explique-t-il au commissariat, en face de Jane, qui mène l'enquête et fut en fait une ancienne collègue de classe de Patrick. Tout le film tournera autour de la question de la culpabilité du personnage principal, question qui semble plus vite résolue pour la police que pour le spectateur.Butterflies est une adaptation de la nouvelle éponyme de l'auteur britannique Ian McEwan, elle avait été publiée dans son premier recueil First Love, Last Rites (en 1975, alors qu'il avait 27 ans). Max Jacoby a lui-même écrit l'adaptation, avec l'autorisation de l'auteur. Alors que la pierre angulaire de la nouvelle, racontée de la perspective de Patrick, est la solitude du personnage principal et ses conséquences, Max Jacoby se concentre sur sa culpabilité et le sentiment d'échec, de vie gâchée dans un univers clos où tout le monde se connaît. Quelques-uns de ces thèmes furent déjà abordés dans The Lodge, son précédent court-métrage (Tarantula, 2004). Le seul fait que le court-métrage soit sélectionné en compétition officielle dans la catégorie Corto Cortissimo à la Mostra de Venise (du 31 août au 10 septembre) est déjà comme une petite revanche, car le tournage de ce même film (produit par Anne Schroeder de Samsa Film) avait été interrompu par le Fonds de soutien à la production audiovisuelle (Fonspa ou Film Fund) pour non-respect du quota de cent pour cent d'intervenants luxembourgeois obligatoires pour un court-métrage financé par le Fonspa. Or, pour le réalisateur comme pour la productrice, il était évident qu'une adaptation d'une nouvelle anglaise par un réalisateur venant de terminer ses études en Angleterre (la London International Film School), destinée à un réseau international (celui des courts-métrages) pouvait tout aussi bien se tourner en anglais. Les acteurs étaient donc, eux aussi, anglais (à l'exception de Jules Werner, qui y incarne le rôle d'un voisin), ne serait-ce que pour l'accent. Seule l'insurrection de tous les techniciens ayant participé à sa réalisation avait permis de sauver de tournage. C'était en mai dernier. Cette semaine, le Fonspa a envoyé un communiqué triomphaliste pour annoncer entre autres la sélection de Butterflies à Venise (à côté de celle de Bye Bye Blackbird, premier long-métrage de Robinson Savary, également produit par Samsa Film, au Festival international de Tokyo). En regardant Butterflies, on a du mal à imaginer que le film pourrait aussi fonctionner avec un autre acteur principal ou qu'il aurait pu être filmé par un autre chef op' (comme le demandait pourtant le Fonspa), tellement il est marqué par ces deux hommes. Glyn Pritchard, qui incarne Patrick, porte le film de bout en bout, le doute, la honte, la culpabilité, le regret, la solitude, l'échec, le non-dit, tout est dans son regard, dans ses yeux et son visage comme dessiné au couteau. La caméra lui colle à la peau, le poursuit en champ/contre-champ. L'image de Fredrik Bäckar est d'une extrême densité, soulignée encore par des contrastes noirs et blancs particulièrement marqués. En 1986, l'adaptation de Butterflies avait déjà porté bonheur à un jeune cinéaste (allemand): réalisé à l'école de cinéma, le film apporta à son réalisateur maintes récompenses, dont le prix Max Ophüls à Sarrebruck, le Student Film Award à Hollywood et un Léopard d'or à Locarno. Le réalisateur d'alors s'appelait Wolfgang Becker et réalisa plus tard (en 2003) Good Bye, Lenin!