Il est partout : dans les expositions, dans sa librairie, dans les pages de votre estimé hebdomadaire, derrière ses platines et, plus généralement, là où l’on discute d’art et de culture. Ce qui définit le mieux Hans Fellner, c’est sans doute le terme – « ce n’est pas un gros mot » – d’intellectuel. Formé à la philosophie, à l’histoire, à l’histoire de l’art, à la philologie germanique, à la sociologie, ce Luxembourgeois d’origine néerlandaise de 53 ans est resté étudiant pendant quelque 18 ans : « Pour moi, la formation est plus importante que le diplôme et la curiosité est mon moteur. » Ainsi, il se souvient du coup de foudre pour une exposition sur le pop art au Ludwig Museum de Cologne quand il avait quatorze ans aussi bien que des grandes œuvres du début du XIXe ou de l’art contemporain. Même ouverture et éclectisme en musique. Ce mélomane, DJ éclectique sous le nom de Duchamp à ses heures, peut rentrer d’une soirée électro pour écouter un opéra de Rameau. Au débat qui a nourri toute une génération opposant les Beatles aux Stones, il répond : « Aucun, plutôt John Coltrane avec Ennio Morricone ».
C’est sur les bancs de l’École européenne de Luxembourg que, très tôt, il développe cette curiosité et son ouverture d’esprit. La formation classique d’une culture bourgeoise est complétée par le vent contestataire des années 70 où l’utopie et l’optimisme ouvrent vers d’autres horizons culturels. Parallèlement à ses années d’étudiant, Hans Fellner s’intéresse au commerce des antiquités, puis des gravures anciennes, depuis le baroque italien jusqu’à l’historicisme du XIXe. Il met en place des catalogues, se fait connaître du milieu et développe un commerce. En 1993, il ouvre Art et Livres à la Place Guillaume à Luxembourg où il se spécialise en « Luxemburgensia » : livres, gravures et tout ce qui concerne le Luxembourg et son histoire. La passion s’estompe après quelques années (« le travail ressemblait trop à celui d’un archiviste ») et c’est une autre librairie qu’Hans Fellner, cette fois à son nom et consacrée aux livres d’art, d’architecture, de design et de photos.
Fellner Art Book devient rapidement un lieu incontournable pour tout ce que Luxembourg compte d’artistes, de créateurs, d’amateurs plus ou moins éclairés, de commentateurs culturels et de professionnels de la profession. On y vient pour acheter un beau livre, mais on y passe toujours du temps à discuter de la dernière exposition, du prochain concert ou des décisions politiques. Ce n’est pas le café du commerce avec ses brèves de comptoir, c’est un rendez-vous pour les esprits ouverts qui aiment de débat et cherchent à en savoir plus. Ne se considérant pas comme un commerçant, Hans Fellner, se voit plutôt comme un amateur avec qui partager idées et passions. « L’échange avec les clients est essentiel : je leur apporte des connaissances, ils m’apprennent des choses ». Cependant, depuis quelques années, la crise du livre se fait ressentir : concurrence par internet, saturation du marché, fatigue de la consommation et fatigue personnelle ont eu raison du libraire, qui entend désormais tourner la page. Pendant plusieurs années d’observation de la scène culturelle luxembourgeoise, il a forgé diverses remarques qui aboutissent à un concept de ce qu’il veut entreprendre.
« Pour moi les musées ne sont plus les moteurs de la créativité contemporaine. L’art se passe dans un contexte social et politique, dans la rue et l’espace public. Pour moi les musées ne sont plus les seuls forums de la créativité contemporaine. L’art va et doit se manifester dans des contextes sociaux et politiques, notamment avec des réalisations et interventions dans l’espace public ». Le projet d’Hans Fellner sera donc d’être le curateur de manifestations culturelles, accessibles à tous, au sens physique comme intellectuel, parce qu’incontournables, s’imposant comme tel. C’est donc auprès des artistes, graphistes, architectes, et designers luxembourgeois, qui réalisent des interventions urbaines qu’il se tourne, non sans en avoir discuté avec les autorités communales qui se montrent intéressées. « Il ne faut pas laisser passer le train, il est déjà lancé, c’est le moment de l’attraper », explique-t-il de manière métaphorique. En plus, la culture de la jeunesse, pour et par les jeunes, mérite une meilleure place dans le paysage créatif luxembourgeois. Le but n’est pas de créer un événement ponctuel, fût-il récurrent, mais plutôt de fonctionner « selon l’arrivage » de projets qui tiennent la route. Loin du bling-bling de la ville haute, c’est vers le quartier de la gare, Bonnevoie et Hollerich qu’il faudra se tourner. Wait and see.