« Non, je ne suis pas inquiet, sou-ligne le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn (LSAP). Quand je regarde comment nous avons réussi onze présidences du conseil des ministres de l’Union européenne avec nos équipes réduites de diplomates, je suis confiant que nous pourrons aussi assumer les charges d’un siège non-permanent au Conseil de sécurité de l’Onu. » La campagne pour la candidature à ce siège est sur la dernière ligne droite (voir d’Land du 6 avril 2012), avant le vote en octobre, à la séance plénière de l’Onu à New York ; le Luxembourg est candidat, à côté de la Finlande et de l’Australie, pour deux postes à pourvoir pour la période 2013-2014.
Alors que la décision de se porter candidat à un tel poste avait été prise par le gouvernement Juncker/ Polfer en 2001 – parmi les 51 pays fondateurs de 1945, le grand-duché est un des cinq qui n’ont jamais siégé au conseil de sécurité –, c’est Jean Asselborn qui a pris son bâton de pèlerin après la présidence de l’Union européenne de 2005 afin de mener campagne pour cette candidature, rencontrant et nouant des contacts personnels avec plus d’une centaine de ses homologues, parcourant le globe à la recherche de soutiens, échangeant des accords de soutien mutuels avec un grand nombre de pays, organisant des conférences de sensibilisation destinées aux diplomates du plus grand nombre de pays possible... En octobre, il faudra deux tiers des voix en faveur du Luxembourg, soit 129 sur 193 pays représentés à l’Onu.
Or, alors que le ministre semble assez confiant quant au résultat de ce scrutin, c’est en interne, au Luxembourg-même, que cette candidature semble plus contestée dernièrement. Après le syndicat de la fonction publique, CGFP, qui s’interrogeait sur le rapport entre le coût et le résultat de l’opération, c’était le député ADR Fernand Kartheiser qui voulait en savoir plus dans le cadre d’un échange de vues, demandé par l’ADR, avec le ministre sur cette candidature, dans la réunion de la Commission des affaires étrangères du parlement, lundi. Et qui, devant les caméras de RTL, regrettait soudain que le Luxembourg n’investisse pas davantage d’argent dans cette candidature. Moins d’un million d’euros est réservé à ce poste sur deux ans (voir ci-contre), c’est effectivement très peu par rapport à un gouffre financier tel que les 17 millions dévorés par un projet comme la carte e-go par exemple.
Car rien que la candidature à un tel siège apporte une plus grande visibilité au Luxembourg à travers le monde. « L’engagement international du grand-duché, notamment dans le domaine de l’aide à la coopération, ou encore la participation de son armée dans des missions comme Atalanta ou au Kosovo, sont extrêmement appréciés de par le monde et nous apportent beaucoup de sympathies, » sou-ligne le ministre. Qui fait campagne pour un mandat dont il pourrait très bien ne pas voir la fin, puisqu’il sera à cheval sur deux législatures au Luxembourg. « Mais je ne le fais pas pour moi, je le fais pour défendre les intérêts du pays, affirme Jean Asselborn. Même si le ministre changeait après les élections de 2014, cela ne pose pas de problème, comme nous avons toujours une certaine continuité dans notre politique étrangère ». Une meilleure visibilité diplomatique ne peut qu’aider les intérêts économiques du pays aussi.
Outre le bien-fondé même de cette candidature – sur lequel s’interrogeait, lundi, entre autres le député vert Félix Braz – et son coût, des doutes majeurs sur la capacité du Luxembourg à assumer la tâche émanent discrètement des couloirs du ministère. Actuellement, la représentation permanente du Luxembourg auprès des Nations Unies à New York compte, d’après le secrétariat général du ministère, treize personnes, dont huit diplomates, autour de l’ambassadrice Sylvie Lucas. Si l’engagement et la compétence de l’ambassadrice sont unanimement salués, c’est la taille limitée de la délégation – qui pourrait augmenter à 18 postes pour la période du siège – ainsi que certaines nominations qui sont critiquées.
Cette année, presque la moitié des diplomates, 45 sur 102, vont changer de poste en septembre – dont le secrétaire général Paul Duhr lui-même. Le système de rotation veut que les ambassadeurs et autres secrétaires de légation changent de poste tous les quatre à cinq ans. La procédure est organisée par le secrétaire général du ministère, qui informe d’abord, en décembre ou en janvier qui précède la mutation, de ses délais, puis demande à chacun d’introduire ses préférences de poste. Le Luxembourg a 38 missions diplomatiques et consulaires à l’étranger, dont certaines – Paris, Rome, Londres ou New York par exemple – sont plus convoitées que d’autres. L’attribution des postes se fait selon des « critères objectifs » assure-t-on au ministère, comme l’ancienneté du diplomate, son profil ou sa spécialisation.
Or, chaque nomination d’une personne se fait au détriment d’une autre – et fait aussi du mauvais sang. Beaucoup de jeunes reprochent au système de manquer de transparence, d’être arbitraire et d’encourager la « reproduction des élites » – il est beaucoup plus facile pour les « fils de... » ou les « filles de... » (haut fonctionnaire par exemple) de décrocher une affectation intéressante que pour un fonctionnaire lambda, fut-il ultra-spécialisé. Il suffit de regarder les patronymes des diplomates affectés aux différentes missions pour se rendre compte que le reproche n’est pas tout à fait infondé, même si le ministère s’en défend. Comme il n’y a pas de règles fixes, il n’y a pas vraiment d’interdits non-plus, le secrétaire général gardant une grande liberté d’appréciation. Souvent, un poste de chef de mission est aussi une manière de remercier un ancien employé de la cour grand-ducale ou du ministère de l’Économie pour services rendus, ce qui ajoute à la frustration des diplomates professionnels qui attendent depuis des années d’être affectés à une mission qu’ils estiment correspondre à leur profil.
« Ambassadeur, c’est un métier ! » insiste pourtant le ministre des Affaires étrangères, interrogé sur la question de la gestion des ressources humaines, où il ne veut pas s’avancer à commenter le détail ou des questions de personnes, relevant du domaine du secrétaire général. Mais, ajoute-t-il, sa politique aura toujours été et reste de ne nommer que des professionnels à ces postes – contrairement à d’autres pays, comme par exemple les États-Unis, qui remercient souvent des financiers de campagnes électorales du Président avec un poste d’ambassadeur –, des gens qui ont appris le métier.
Ce qui, au Luxembourg, veut dire : diplôme universitaire en poche, passer l’examen d’entrée pour devenir fonctionnaire, puis le concours pour devenir diplomate. En parallèle, il faut suivre des cours à l’Inap (Institut national d’administration publique), dont certains ont été développés avec le ministère, comme les techniques de négociation ou les règles de protocole, ainsi que des cours intensifs à l’étranger, par exemple au Collège de Bruges, durant le stage. Mais en principe, on peut considérer la formation des diplomates luxembourgeois comme étant un learning by doing, sur le tas, en passant quelques années dans les différentes directions du ministère – coopération, finances, relations économiques internationales, direction politique... Avec, toujours, la volonté de former des généralistes plutôt que des spécialistes ; des gens qui puissent enchaîner une mission en Asie, en Europe, puis aux États-Unis. « Une chance inouïe, » selon le ministre. C’est l’application, aux relations internationales, du « génie lux-embourgeois » tel que l’avait défini le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) : des équipes très réduites de gens très engagés peuvent faire fonctionner l’administration publique là où d’autres pays ont d’énormes machines administratives et des budgets autrement plus importants en place.
Mais ce système a aussi ses failles, notamment le favoritisme et les risques de népotisme. Et, parfois, des doublons – les réseaux du ministère de l’Économie avec ses BED (Board of economic development), de celui de la Coopération, de Luxdevelopment et les ambassades donnant parfois l’impression d’être implantés selon des logiques différentes – ou de grands trous (notamment dans les pays arabes). Une des questions que se posent les observateurs les plus critiques par rapport au possible siège à l’Onu est par exemple de savoir si ce réseau finalement assez restreint de représentations diplomatiques serait suffisant pour épauler la représentation permanente auprès de New York dans son travail.
Lors de la réunion diplomatique, à la mi-avril au Luxembourg, les diplomates ont entre autres discuté de la situation financière du pays. Y aura-t-il des coupes claires dans le budget des Affaires étrangères ? Jean Asselborn affiche la bonne volonté de ses services de faire des économies sur les frais de fonctionnement, dix pour cent par an, sur un budget global du ministère, hors aide au développement, immigration et défense, de l’ordre de 57 millions d’euros par an. Il n’y a actuellement plus de nouvelles ouvertures d’ambassades ou de missions prévues, après celles d’Addis Abeba, d’Abu Dhabi et d’Ankara les derniers mois. Par contre, la représentation permanente auprès de l’OSCE à Vienne a été fermée, ses missions étant dorénavant assumées par l’ambassade à Vienne. Le ministère envisage dorénavant de travailler avec davantage d’ambassadeurs non-résidents, comme c’est déjà le cas pour les pays des Balkans. « Et puis je milite pour que les missions du service d’action extérieur de l’Union européenne puissent aussi assurer des charges consulaires pour nos ressortissants, affirme le ministre. Mais ce n’est pas évident, car tous les pays membres n’ont pas la même définition de l’intérêt commun. »