Il a fière allure, dressé sur les pattes arrière, toutes griffes dehors, et la langue prête à l’assaut ; tel, le lion qui porte couronne domine sur la bande qui descend la façade du Musée national d’histoire et d’art, au Marché-aux-poissons, au premier plan, les silhouettes emblématiques du Crystal Palace, de l’Atomium, de la Tour Eiffel, cette dernière en plus enrubannée de la queue fourchue de l’animal.
L’image vient ainsi contredire, du moins relativiser le titre de l’exposition : Un petit parmi les grands, sur la participation du Luxembourg aux expositions universelles, de Londres à Shanghai, de 1851 à 2010. Et il est vrai que l’exposition elle-même n’est pas mal allurée non plus. Elle est l’aboutissement de longues recherches, menées par Jean-Luc Mousset et Ulrike Degen, et elle montre que sur tel sujet, l’institution est à même de mettre sur pied une exposition (accompagnée d’un bel et riche ouvrage) conséquente. En plus, malgré une exiguïté certaine des salles, présentée dans une scénographie des plus agréables.
Le visiteur, de Shanghai où, actualité oblige, il débute son parcours, pour ensuite prendre l’ordre chronologique, en 23 étapes, trouve de quoi apprendre des choses. Mais il le fait de façon plaisante, tellement ce qu’il a sous les yeux est varié, textes, images, objets, films, et l’hétérogénéité, ici, n’est pas un défaut, au contraire. Il lui appartient de faire ses propres choix dans cette pléthore, quelques pistes seront données ci-après, qui ont paru particulièrement parlantes.
1 Rien de nouveau dans le monde des expositions universelles quand on suit le raisonnement du commissaire pour Shanghai, argumentant qu’une absence du pays hypothéquerait fortement les chances de notre commerce avec la Chine. Dès 1851, il s’agissait « de faire acte de vie », suivant l’expression du président et du secrétaire de la Chambre de commerce, autrement « ce serait enfin douter de nous-mêmes ». C’était l’époque du Zollverein, et les produits qu’on vantait étaient les gants, les chaussures, les draps, les papiers peints, nous représentaient encore le céramiste Boch et le maître de forge Metz.
Au fil des expositions, on passe en revue toute notre histoire industrielle et économique, les mutations du pays, depuis son passé agricole où les roses et les vins étaient seuls à enivrer. Peu à peu, les activités minière et sidérurgique occupent le plus de place, mais à Chicago, en 1933, voici que les finances entrent en jeu, et les clients américains sont aguichés par la présence au Luxembourg de la Ford Investment Company avec un capital de 480 millions de francs. Enfin, on entre dans l’ère de l’audio-visuel, de l’informatique, et après Arbed et Hadir, c’est RTL, SES, et le pavillon de Séville, en 1992, se colorie du bleu de Luxair.
2 La liste des commissaires corrobore cette primauté de l’économie ; les premiers sont carrément issus de ce monde-là, initiateur d’ailleurs de la participation, et les dernières années ou décennies, avec les Hamilius, Lahure ou Goebbels, tous anciens ministres avec tel portefeuille, la balance fut faite avec la politique. Avec des échos qui tiennent alors beaucoup à la couleur, quand notre participation à Hanovre par exemple, du côté d’Esch, est saluée comme « Expo-Erfolg », et du côté de Gasperich, vilipendée comme « lustlose Pflichtübung ».
Bruxelles 1935 : acte de foi et d’optimisme, leçon de courage et d’énergie, manifestation grandiose de la puissance créatrice de l’humanité, dit son directeur général. Pauvre commissaire luxembourgeois, ramené à ras de terre, poussé au népotisme, quand il doit répondre à un cousin qui l’a sollicité pour un emploi, il s’en tire en précisant que la crise sévit avec violence dans le Grand-Duché.
3 La politique, à la fin du XIXe siècle, c’est l’effort que le Luxembourg entreprend pour se faire reconnaître comme « a Land absolutly independant » (Baron de Blochausen), face à l’inquiétude que les Américains, à Philadelphie, en 1876, ne le classent tout simplement avec la Hollande. Et à la Chambre des députés, l’occasion est saisie pour demander d’établir des relations diplomatiques, de nommer un consul ou pour le moins un délégué.
On se fait donc connaître, on se fait des amis, et quand l’orage menace, des alliés pour un futur incertain. À Paris, en 1937, où les pavillons de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique se font face, le Luxembourg affiche son amitié pour le pays voisin, et dans le salon d’honneur tant soit peu grandiloquent, placé sous un portique, le portrait en pied de la Grande-Duchesse Charlotte affirme d’autant plus hautement l’indépendance nationale qu’il se trouve entouré des médaillons de Jean l’Aveugle, le comte tombé pour la France à Crécy, et d’Ermesinde, « grande organisatrice de l’État luxembourgeois ». Mauvais pressentiment sans doute, et appel au secours par anticipation, à New York, deux années plus tard, des photographies montrent des soldats américains au Luxembourg à la fin de la première guerre mondiale. On célèbre une première libération, dans l’espoir que les choses se répéteront en cas de besoin.
4 Il a fallu attendre 1925, Paris toujours, avec son exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, pour changer d’optique, du tout au tout. C’est l’École des artisans qui représente le pays, avec du mobilier, salle à manger, salon, cabinet de travail. Et les responsables, leur retenue qui les honore les inscrit parfaitement dans le mouvement moderniste et sa tendance démocratique : Nos artistes n’ont que rarement l’occasion de travailler pour des millionnaires. Créer des intérieurs riches, c’est bien ; mais créer des intérieurs modestes, c’est mieux… »
C’est parti alors pour le recours aux artistes, et eux sauveront justement la participation à New York, en 1939. Les industriels se sont retirés, c’est Michel Stoffel, président du Cercle artistique, qui force la décision ; et de se mettre au travail, avec d’autres membres, pour des œuvres de grande dimension, des statues gigantesques, comme l’allégorie de l’artisanat d’Albert Kratzenberg présente dans l’exposition. Cela a dû être imposant, ce n’était pas du grand art ; aujourd’hui, ce n’est pas non plus du grand art qu’on met devant le pavillon, c’est décoratif.
Sans doute que la contribution artistique la plus réussie, la plus cohérente aussi, on l’eut à Paris, en 1937. Plus tard, à Bruxelles, en 1958, des œuvres s’intégrant parfaitement à l’architecture de René Mailliet.
5 Ce qui reste dans la mémoire de l’enfilade des expositions universelles, en premier les réalisations symboliques, témoins de la modernité technologique. Et le temps de leur durée, elles s’avèrent un vaste espace ludique, laboratoire, et terrain de concours, des architectes. Depuis plus d’un demi-siècle, avec une interruption entre 1958 et 1992, les Traus et Schmit-Noesen, René Mailliet, et plus près de nous, les Fritsch-Paczowski, Jim Clemes, Christian Bauer et François Valentiny, ont exprimé chacun à sa manière une image qu’ils entendaient conformes à l’époque et au pays.
En 1878, au Champ-de-Mars, une rue des nations, dans le plus pur style historiciste, entre le Portugal et Saint-Marin, donnait à voir une réplique partielle du palais grand-ducal. À la première biennale de Venise, pour l’architecture, en 1980, une strada novissima prônait le postmodernisme. L’exposition universelle, comme la biennale, mutée en Luna Park, ou Dreamland, pour reprendre le titre d’une exposition au centre Pompidou, à Paris, dont il sera question dans la foulée.