L’Opéra-Théâtre de Metz produit Cosi fan tutte de Mozart, un opéra qui opère une synthèse entre les joyeuses, espiègles et révolutionnaires Noces de Figaro et le sombre, délétère et presque mystique Don Giovanni. Il en reprend les structures binaires en fondant les styles seria et buffa jusqu’à la gémellité, en affinant l’orchestre jusqu’à lui donner une texture soyeuse des plus subtiles, et en amenant les récitatifs et les arias en un flux sonore presque continu.
C’est un opéra virtuose également dans le traitement des voix. Il fait coïncider son récit avec toutes les combinaisons possibles des différentes tessitures vocales. Reposant sur six couples, dont deux échangistes, il montre comment le couple Don Alfonso / Despina, manipule les couples Ferrando / Fiordiligi, et Guglielmo / Dorabella. Dorabella est la sœur ainée de Fiordiligi, elle peut donc tendre vers le mezzo pour témoigner de leur différence d’âge. Ce dispositif exige un plateau vocal très équilibré pour qu’aucun duo, trio, quatuor ou sextuor ne soit défaillant. Une des grandes qualités de cette production est justement l’alliage plus que réussi des voix, et ce dès les premiers duos entre le baryton italien Antonio Mandrillo en Ferrando et le ténor tchèque Jiří Rajniš en Guilermo. Le premier duo entre la Dorabella de la soprano norvégienne Lilly Jørstad et la soprano italienne d’origine kazake Maria Mudryak montre aussi cette harmonie qui doit soutenir l’œuvre. Malheureusement la cantatrice ukaino-russe Ekaterina Bakanova était malade lors de la représentation du 2 février. Mais le bonheur voulut qu’elle soit remplacée par Maria Mudryak. Même si les voix de chacune sont reconnaissables, leurs tessitures sont semblables. Et dans cette histoire d’échangisme, toutes ressemblances est la bienvenue. Le timbre légèrement acide de la soprano sicilienne Francesca Cucuzza pour Despina, ne manque pas non plus de retenir l’attention, tout comme son jeu piquant et malicieux jusqu’à en devenir sympathiquement grotesque lorsqu’elle arrive grimée en notaire. La voix ferme pouvant avoir un ton amusé du basse italien Matteo Loi en Don Alfonso, montre insidieusement que ce manipulateur s’amuse avec ses amis. Il sait aussi se faire sec quand ils voudront arrêter le pari, et charmeur en corrompant Despina. Antonio Mandrillo en Ferrando montre une voix ferme, très articulée et claire ; Jiří Rajniš en Guilermo un éclat révélant la jeunesse de son personnage. Le plateau vocal est ici dans son ensemble pétillant, vif, harmonieux et fluide.
Il en va de même pour l’orchestre, qui garde une conduite sûre, soyeuse et volontiers espiègle. Une des plus grandes difficultés dans un opéra de Mozart est de trouver le tempo juste. Le chef d’orchestre belge David Reiland le trouve immédiatement. Ni trop rapide afin de laisser les chanteurs s’exprimer, ni trop lent afin de garder ce ton de plaisanterie vif, cet élan qui déploie comme une évidence la science orchestrale de Mozart. Il maintient ainsi continuellement la joie chez l’auditeur. Il faut saluer également le travail réalisé avec les cordes, lumineuses, fraiches et pétillantes, ainsi qu’avec les bois et surtout les clarinettes, instrument favori de Mozart, qui gardent un moelleux très appréciable.
Parallèlement aux voix, la direction d’acteurs du metteur en scène Stefano Vizioli reste souple. Elle maintient les protagonistes dans leur naturel et leur donne un humour plaisant malgré le drame. En témoignent les scènes de rencontres entre les femmes et les hommes, qu’ils soient déguisés ou non. Ainsi la scène d’empoissonnement ou la scène durant laquelle Fiordiligi veut fermer la porte aux Albanais pendant que Dorabella et Ferrando se rapprochent déjà.
Les costumes de Milo Manara sont également fort bien pensés. Si Fiordiligi et Dorabella ont des robes légères et des collants couleurs pastel, - vêtements suggestifs qui s’enlèvent facilement -, ceux de leurs hommes en militaires sont blanc rehaussé de roses. Mais surtout en Albanais, les prétendants sont parfaitement ridicules avec des turbans tombant au moindre geste, et nullement grimés. La farce en est d’autant plus grossière, et révèle ainsi que les couples n’étaient donc pas aussi solides que les hommes le pensaient. Les habits noirs de Don Alfonso rappellent ceux du Comte Almaviva des Noces de Figaro et de Don Giovanni, soutenant ainsi la continuité des trois opéras de Mozart et Da Ponte.
Une autre grande qualité de cette production est le décor en panneaux peints par le dessinateur de bandes dessinées Milo Manara. Ils rappellent les décorations murales des palais du 18e siècle mais aussi, soulignent ici l’érotisme de cet opéra. Zeus, Apollon et un satyre poursuivent des nymphes célestes. Des naïades vont s’abreuver à une fontaine et se reposer en forêt. Les couleurs sont vives et joyeuses, les mouvements lestes. Les drapés cachent ce qu’il faut cacher et soulignent la sveltesse des personnages. Le spectateur songe aux Dianes de François Boucher pour les nymphes ou à Puvis de Chavannes pour les angelots. Quant aux fonds, c’est du bleu digne d’Hokusai...
André Breton disait de son ami le photographe Man Ray. « Man Ray, synonyme de joie, jouer, jouir. » Cette représentation pourrait faire dire « Mozart, synonyme de jouer, joie, jouir. »