Chroniques d’un quotidien

d'Lëtzebuerger Land vom 07.02.2025

tol.lu

Avec Sarah & Hugo du grand dramaturge australien Daniel Keene, le TOL nous entraîne dans une histoire douce-amère, tissée entre une mère célibataire et son fils. Sous la houlette de la metteuse en scène Véronique Fauconnet, Émeline Touron (vue en 2023 dans Never Vera Blue) et le jeune Noam Villa (17 ans, l’âge du rôle) donnent vie à un attachant duo embarqué dans une histoire sur les relations familiales, l’amour, l’enfance et l’identité, le travail et l’évasion, le passé et le présent, les doutes et les choix, la vérité et les mensonges, la banlieue « comme un village », le regard des autres…

Écrite en 2016 par le prolifique Daniel Keene lors d’une résidence à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon et traduite par Séverine Magois, Sarah & Hugo est jouée en première mondiale au Luxembourg. Son écriture est fine, subtile, elle suggère plus qu’elle ne dévoile et aborde simplement sujets intimes et sujets de société, comme être une jeune fille mère, comme l’indifférence, la solitude, la vieillesse ou encore l’effacement de la mémoire.

Banlieue parisienne. Un appartement. Trentenaire, Sarah (émouvante Émeline Touron dans un rôle complexe de jeune mère prise entre mille émotions, entre résistance et résilience), bosse dans un supermarché mais a repris ses études pour devenir institutrice, son rêve. Son fils Hugo (Noam Villa très juste en jeune adulte en quête d’identité, d’avenir et de sens), seize ans (l’âge qu’elle avait quand il est né et qu’elle a quitté le foyer familial et l’école) a troqué les études pour la mécanique et dégotté un job dans un garage. « Un jour j’aimerais un garage à moi », dit celui pour qui « le temps n’existe pas encore ». En attendant, une drôle d’offre se présente à lui, à Arcachon... au bout du monde. Soudés par une vie à deux non conventionnelle, ils se sont construits ensemble, « tu m’as choisi et je t’ai choisie » dira Hugo à Sarah, entre doutes et rêves mais déterminés à prendre leur envol…

Tout au long du spectacle, on les retrouve dans le huis clos de leur chez eux, dans leur intimité, au rythme des gestes de leur quotidien, les spectateurs partageant aussi les temps d’introspection (dialogues et monologues alternent). Sarah, toujours en train de courir, travaille sur Marguerite Duras, Hugo lui s’occupe des tâches ménagères… Petit à petit, le passé sonne à la porte, Hugo questionnant l’absence du père, des grands-parents, Sarah déroulant le livre du passé, des non-dits, des manques… « Reste là / ne bouge pas / ne t’en va pas », autant de mots de Cet amour de Jacques Prévert qui s’affichent sur un écran, accrochant le regard dès l’entrée en salle : « Notre amour reste là / têtu comme une bourrique / vivant comme un désir ».

La mise en scène de Véronique Fauconnet est précise, nuancée. Elle donne aux personnages le temps de s’exprimer, elle laisse le temps aux « choses » de se mettre en place, de resurgir ou d’advenir. Elle trouve le rythme adéquat pour ces petites chroniques du quotidien, ces instantanés, faisant du spectateur un témoin.

Les deux interprètes assurent une belle présence à des personnages qui naviguent à la barre des émotions, entre mer calme et agitée. Apparaissent de beaux tableaux scéniques, des moments émouvants, suspendus comme quand ces deux solitudes partagent le plateau ou quand l’un raconte à l’autre des bribes de sa journée, ainsi Hugo décrivant sa rencontre nocturne avec ce voisin en pyjama, ancien marin à la recherche de la mer…

À ce beau bouquet d’émotions répond la musique, véritable playlist de classiques, entre jazz, musiques du monde et chansons, des sons entrainants et d’autres plus nostalgiques. Pour un voyage, une traversée, quelques notes assurant le passage d’une scène à l’autre, la salle étant alors plongée dans le noir. Quant à la scénographie, réaliste et efficace, elle est signée Christian Klein (de même les costumes). Sur le plateau, quelques meubles suggèrent un appartement très simple, un rien vieillot : mur en bois avec dessin d’enfant, canapé orange des confidences, rideau noir à fleurs et une grande table pour les repas du dimanche et les grandes décisions qui fait aussi office de bureau pour Sarah. Les belles lumières de Manu Nourdin parviennent à faire cohabiter les atmosphères plurielles, les orangés du quotidien le disputant aux violets des rêves de ce conte de la vie ordinaire.

Sarah & Hugo de Keene/Fauconnet, un spectacle intime et social, léger et profond. À voir !

Dernières représentations : les 7, 11, 12 et 13 février
à 20h et le 9 février à 17h. Plus d’info :

Karine Sitarz
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