Plus un pays est petit, plus grand est (ou devrait être) l'impact de sa diaspora. Certains pays comme l'Irlande ou le Portugal l'ont compris, sans même évoquer le cas tout à fait particulier d'Israël, supportée à bout de bras par les communautés juives de part le monde.
Pour ce qui est du Luxembourg, le réflexe de tirer le meilleur parti de nos surs et frères émigrés et ayant réussi à l'étranger ne semble guère jouer. Il y a une incompréhension, pour ne pas dire une aliénation de part et d'autre, où la jalousie et la condescendance se le disputent et font qu'on a affaire à des univers qui s'ignorent très largement. Dans sa préface, le professeur Guy Kirsch, un économiste qui a fait l'essentiel de sa carrière à Fribourg en Suisse, décrit très bien cette ambivalence qui caractérise les rapports entre Luxembourgeois de l'intérieur et ceux de l'extérieur: "En privé on aime se rencontrer, en public on ne cherche généralement même pas à entrer en contact. (...) Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les deux parties se cherchent plus qu'elles ne se trouvent, qu'elles s'ignorent plus qu'elles ne s'oublient."
Ce sont ces considérations qui ont amené le photographe Raymond Reuter à se lancer à la recherche de nos compatriotes exilés un peu partout à travers le monde. Il en est sorti ce livre fascinant, qui fixe par des images saisissantes et des textes poignants la biographie de cent Luxembourgeois expatriés. Un des critères de Reuter a été la persistance d'un attachement réel au pays natal. Ce n'est pas nécessairement le passeport luxembourgeois, mais surtout la maîtrise du patois qui lui a permis de faire le tri.
Reuter est bien sûr conscient que sa sélection est loin d'être exhaustive, mais il estime que les cent Luxembourgeois retenus constituent des biographies assez remarquables. Il y a, bien sûr, des oublis, mais comme il n'y avait que très peu de repères, notre explorateur a dû procéder de fil en aiguille, se fiant à l'ouï-dire. Parmi les oublis figure certainement Jean Nassau, frère cadet du Grand-Duc Henri, mais aussi l'un ou l'autre artiste comme Roland Schauls. Mais Reuter a fait des découvertes étonnantes de compatriotes oubliés ou à peu près. Il y a, bien sûr, aussi les classiques, c'est-à-dire ces individus célèbres, ces filles ou fils prodiges (ou prodigues, c'est selon) dont la patrie reconnaissante prend de temps en temps note non sans fierté.
Mais c'est l'étonnante diversité des portraits qui frappe et qui montre que voilà un potentiel très largement inexploré qui n'attend qu'à être mis à contribution, par exemple lors des diverses tentatives de promotion de l'image de marque du Grand-Duché à l'étranger. Les Luxembourgeois à l'étranger sont touche-à-tout, qui réussissent dans les domaines les plus divers allant des disciplines scientifiques les plus pointues, en passant par la médecine, les arts, l'hôtellerie, l'informatique, le commerce, l'oenologie, l'humanitaire voire les missions (pays catholique oblige) jusqu'à Anita Goerens, cette coiffeuse qui s'est égarée jusqu'en Australie.
La galerie de portraits de Raymond Reuter montre à suffisance que le pays dispose d'un vaste réseau de femmes et d'hommes d'influence qui pourraient lui rendre de fieffés services, si seulement on daignait faire appel à eux. Or, Reuter a dû constater à son grand étonnement que tel n'est que très rarement le cas.
On pourrait ainsi s'imaginer que lorsque notre pays se lance dans des aventures tel ce projet de l'Université du Luxembourg, les responsables fassent appel à l'expérience non négligeable de ceux de nos compatriotes qui ont réussi dans la recherche de pointe et dans l'enseignement universitaire. On imagine facilement tout le profit qu'on aurait pu tirer à consulter les François Diederich (professeur de chimie à l'ETHZ), Michel Goedert (spécialiste de biologie moléculaire à Cambridge), Jean-Pierre Hansen (physicien, également à Cambridge), Guy Kirsch (économiste à Fribourg), Arno Mayer (historien à Princeton), Jean Pohl (géophysicien à Munich) ou encore John Scheid (professeur de civilisation romaine au Collège de France), pour ne citer que les plus connus. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Raymond Clement reprend en quelque sorte le travail d'hommage accompli pour la génération précédente de nos chercheurs et universitaires à l'étranger par Robert Stümper dans les colonnes du Land au cours des années 70. Il faut espérer que le travail d'investigation remarquable de notre reporter-globetrotter laissera des traces, nous invitera à un peu plus de modestie et un peu plus d'égards vis-à-vis de nos compatriotes à l'étranger qui ne demandent pas mieux que de servir leur pays ou de se rappeler au moins de temps en temps à notre bon souvenir.
Raymond Reuter: 100 Lëtzebuerger ronderëm d'Welt. Éditions Luxnews, ISBN 2-9599932-2-5, 49,80 euros.