C’est le mauvais quart d’heure à passer pour un ministre responsable des infrastructures sur un projet de construction : mardi 2 avril, le ministre du Développement durable et des Infrastructures, Claude Wiseler (CSV), a dû justifier, devant la Chambre des députés, la troisième rallonge budgétaire pour la Nordstrooss (A7), reliant Luxembourg et Ettelbruck à l’horizon 2015, une rallonge de l’ordre de 58,1 millions d’euros. Ce qui, après l’investissement initial engagé avec la première loi de 1997 de 367 millions d’euros et la première rallonge de 229 millions d’euros votée d’urgence en 2005 pour pouvoir terminer le chantier, porte le coût total de cette route longue de quinze kilomètres à 654 millions d’euros – ou 44 millions d’euros par kilomètre, comme l’a calculé le député libéral Fernand Etgen. Soit l’équivalent de sept « musées Pei » – projet qui était devenu au moment de sa construction synonyme de gabegie dans les discours poujadistes – ou de six lycées.
En comparaison, l’Association des sociétés françaises d’autoroutes et d’ouvrages à péage (Asfa) établissait, en 2005, la norme du coût de construction d’une autoroute à six millions d’euros par kilomètre, à multiplier par trois en montagne. Or, l’autoroute A86 ou « superpériphérique parisien », achevée l’année dernière, aura même atteint les 80 millions d’euros le kilomètre, car comptant entre autres le tunnel le plus cher de France (2,2 milliards d’euros). Comparé à cela, l’A7 luxembourgeoise, malgré sa « gestion financière irresponsable » (Josée Lorsché, Déi Gréng), fait presque figure de radinerie.
La haute technicité du dossier, l’imprévisibilité du terrain dans lequel il fallait creuser les tunnels, l’avant-projet très sommaire sur lequel s’étaient basés les calculs pour le premier projet de loi de 1997, l’adaptation des normes et règles de sécurité au niveau européen, le respect des habitants jouxtant le chantier (installation de silencieux,...), l’un ou l’autre incident de chantier, des dépassements de devis ou encore la durée du chantier étaient quelques-unes des raisons pour ces dépassements invoquées par le ministre mardi. L’opposition ne l’a pas raté, fustigeant la lenteur du chantier – quarante ans de discussions, 18 ans de travaux –, ce qui irait au détriment du confort des habitants du Nord du pays, comme l’a fait le député libéral Fernand Etgen, revenant sur des idées alternatives de construction comme cette « tranchée ouverte » proposée par Jacques-Yves Henckes (ADR), ou mettant à nouveau en doute l’opportunité même de la construction de cette route, comme Josée Lorsché pour les Verts, traditionnellement opposés à chaque kilomètre d’autoroute (et qui ont voté contre l’adaptation budgétaire, adoptée avec 48 voix).
C’est la presse par contre qui s’est insurgée, le lendemain, des 200 millions d’euros d’investissements engagés en une seule séance parlementaire – à côté des 58 millions pour la route du Nord, les députés ont également accordé 138 millions d’euros au troisième tronçon de la Liaison Micheville à Belval (portant son coût total à 330 millions), alors même que le ministre des Finances, Luc Frieden (CSV), doit annoncer aujourd’hui, vendredi, où le gouvernement compte faire ces économies de l’ordre de 500 millions d’euros annuels pour équilibrer les budgets d’État 2013 et 2014. Les projets d’infrastructures en font traditionnellement partie, on l’a constaté lors des précédents plans d’austérité établis ces dernières années, où de grands dossiers, comme par exemple celui de la Bibliothèque nationale, devenue emblématique de la gestion hasardeuse des investissements en infrastructures publiques, ont à chaque fois été reportés ou leurs travaux allongés. En même temps, le gouvernement voulait afficher une approche volontariste et de soutien de l’économie nationale avec une « politique anti-cyclique d’investissements » – vidant peu à peu les réserves des fonds d’investissement, qui passeront tous au rouge à partir de l’année prochaine au plus tard.
Or, paradoxalement, la réponse du gouvernement à la crise des finances publiques est de ne pas investir ou d’investir plus tard – mais jamais d’investir autrement, de construire autrement. Par exemple de construire des bâtiments moins chers, moins luxueux (voir aussi pages 8-9). Certes, n’importe quel visiteur du Centre Pompidou Metz, qui y aura déjà tenu une poignée de porte, aura remercié Ieoh Ming Pei d’avoir tant insisté sur une exécution méticuleuse du moindre détail (pour une quinzaine de millions d’euros de plus, à l’arrivée), mais tous les bâtiments ne sont pas des musées et n’en ont pas le statut, ni la fonction.
N’importe quel maître d’œuvre vous dira que les coûts des constructions au mètre cube ont explosé ces dernières années, n’importe quel ingénieur vous expliquera qu’au Luxembourg, les normes en matière d’impact environnemental (isolation thermique, gestion des eaux etc.) dépassent désormais, et de loin, la rigueur de celles en vigueur en Allemagne, voire même en Suisse. Les coûts des constructions publiques varient désormais de 900 euros du mètre carré pour une maison-relais modeste ou une extension d’une école primaire en passant par 1 670 euros pour l’aéroport ou 2 500 euros en moyenne pour un lycée, jusqu’à 5 000 euros pour des bâtiments prestigieux et complexes comme la Villa Vauban ou la tour d’eau de Leudelange.
Des concepts de modestie, de recherche de matériaux ou de modes de construction alternatifs ne sont pas encore arrivés du tout dans un pays où le budget de construction pour une maison individuelle dans la périphérie de la capitale semble d’office établi au million d’euros. Or, construire avec des budgets contrôlés, n’est pas forcément synonyme de radinerie ou de mauvaise qualité architecturale. Au contraire, les plus grands architectes s’y sont essayés – c’est un défi.