Par opposition à ce qui se fait aujourd’hui dans les médias populaires, où l’on place le vedettariat et l’ego au sommet de la réussite, avec toutes les recherches de nouvelles stars/voix/talents, voici Les Enfants d’Edward Bond, mis en scène par Carole Lorang et sa Compagnie du Grand Boube. Un projet sobre d’apparence, mais subventionné et soutenu (et tant mieux ! a-t-on envie de dire), qui a surtout vocation à transmettre à un groupe de quinze jeunes à quel point le théâtre appelle à la responsabilité et à la discipline collectives et tend à effacer tout ego démesuré.
Carole Lorang, qui bénéficie non seulement d’une solide carrière de metteure en scène, mais qui a, au fil du temps, également acquis une large expérience en matière didactique a été secondée dans cette création de son pilier, Mani Muller (dramaturge et scénographe) et accompagnée de Rita Bento dos Reis et Jérôme Varanfrain (comédiens), mais aussi de Peggy Wurth (costumes), de Milla Trausch (pédagogie) et de Nico Tremblay (lumières) – une belle équipe que cette Compagnie du Grand Boube, qui, de toute évidence, est parvenue à accomplir le pari de l’auteur lui-même : « monter une pièce avec des jeunes gens et deux adultes » (indiqué dans le sous-titre de la pièce).
Dans un décor bien délimité, doté de diverses solutions judicieuses et symboliques afin de faciliter le jeu et se repérer dans un espace changeant, qui permet le voyage (avec une toile de fond à projections vidéo, une porte ou encore des pavés), une bande de jeunes, une peu gueulards, un peu effrayés par les événements, mais surtout des indicateurs de leurs propres vérités. Ce sont eux qui pointent du doigt sur ces adultes qui échouent, soit parce que, comme la mère qui s’enferme dans un mensonge terrible et rejette sa responsabilité face à sa fille, Joe, qu’elle a incité au crime, soit parce que, comme l’inconnu qui est ravagé par ses pulsions vengeresses et destructrices et qui ne peut plus s’empêcher de tuer chaque être vivant qu’il croise.
Les deux comédiens professionnels qui incarnent d’une part, la mère et d’autre part l’inconnu encadrent la pièce, de part leur jeu précis et sanglant, mais l’énergie centrale provient de cette bande de jeunes. Leur jeu à tous flanque la chair de poule, car on sait que jouer n’est pas évident, ou du moins on se l’imagine ; jouer, c’est inventer un personnage, le cerner et il s’agit aussi de s’exposer vraiment, et non pas virtuellement au milieu de ses friends. Malgré l’un ou l’autre accroc et un jeu parfois peut-être trop en force, ces jeunes comédiens incarnent leurs rôles comme s’ils les avaient taillés eux-mêmes sur mesure.
Au fil des scènes et du propos de plus en plus dur, la bande nous dépeint ce que peut être cette perte d’humanité et une vision apocalyptique qu’Edward Bond a sans doute souhaité transmettre à travers son texte. La traduction de Jérôme Hankins permet quant à elle, de retrouver l’urgence du texte original et simplifie aussi l’incarnation de chacun de ces personnages, de cette bande de lycéens. Pour ce qui est du message central, si l’on souhaite s’en fixer un, ces jeunes sont en quête d’un autre monde, celui où l’on prend la responsabilité de ses propres actes.
L’équipe a qualifié cette pièce de « chantier humaniste », c’est vrai, et l’on imagine qu’au-delà du texte, l’expérience de ce projet a permis aux jeunes, qui sont tous de véritables lycéens, issus de milieux bien différents,« d’apprendre à travailler en coordination et en responsabilités partagées », comme le dit la metteure en scène, Carole Lorang. Mais aussi, certainement, à prendre goût à la langue, à sa force et sa richesse, même si ici, elle semble amputée, mais volontairement et à juste titre et puis s’investir dans un projet défini dans le temps, dans le respect du groupe. Une autre forme d’école.