Aujourd'hui, grand-mère est morte. Elle fut enterrée le jour de son 91e anniversaire. Claudine Muno, sa petite-fille, fait le deuil avec une chanson, Strange bird, qu'elle interprète toute seule au piano, de sa voix claire et douce, si incommensurablement triste que le jour du concert de présentation à la Kulturfabrik, dans l'audience, toute sa famille en avait les larmes aux yeux. Faith+Death+Love, le disque présenté ce jour-là, est le deuxième CD de Claudine Muno, après le maxi Fish out of water, projet solo en 1998.
Aujourd'hui, bien qu'elle soit l'auteure de toutes les chansons, elle a néanmoins été épaulée par deux professionnels, Thierry Kinsch et Serge Tonnar, qui signent aussi bien les arrangements que la (co)production (pour le compte de l'asbl Maskénada). Et cette collaboration est parfaite: là où les textes de Claudine Muno, de véritables chants funèbres, frisent souvent le désespoir le plus total, les deux arrangeurs soit illustrent les motifs ambiants, soit, au contraire, cassent à la fois le rythme et l'ambiance en travaillant par oppositions, par contrepoints, en intégrant les instruments et les sons les plus invraisemblables.
Alors que ses romans (cinq jusqu'à présent), pièces de théâtre et livres pour enfants sont en allemand, en français et en luxembourgeois, Claudine Muno écrit ses chansons en anglais, profitant des moyens que cette langue lui confère, notamment d'être brève et directe. Le monde de Claudine Muno est un monde où on meurt beaucoup. Où les vieux meurent de fatigue, de lassitude et les jeunes ne ressentent guère d'émotion, mais se posent plutôt plein de questions en regardant droit dans les yeux froids (Chickenman). Et où les jeunes ne pensent qu'au suicide dans un monde qui n'est qu'ennui et désolation (Silent sigh, probablement la chanson la plus dure et la plus émouvante du disque).
À 25 ans, ses études d'histoire terminées, travaillant en journaliste pour le Luxemburger Wort et Télécran, Claudine Muno se retrouve dans cette position d'attente entre la vie d'étudiante et la vie professionnelle. Dans Speck, sa première pièce de théâtre mise en scène en automne dernier par Eva Paulin dans le cadre du festival Act-In, elle se moquait de ce désir de stabilité des Luxembourgeois, ce leitmotiv qui semble revenir dans la bouche de tous les parents: fais prof d'abord, tu auras un poste sûr et plein de temps libre pour jouer les artistes à côté!
Le regard qu'elle jette à partir de cette position unique, de cette fragilité exacerbée, sur ses contemporains est sans merci: des familles qui se brisent dans le tabou et le manque de communication, des communautés artistiques décimées par l'alcool, l'impossibilité des relations amoureuses, des majorettes déglinguées, la solitude la plus totale... et toujours les trains, symboles du départ de cette micro-société étouffante. Il n'est pas étonnant que lors du concert, elle ait choisi d'interpréter e.a. Jeremy de Pearl Jam, cette chanson du garçon timide, presque invisible, qui soudain, se mit à parler à l'école...
Car Claudine Muno est timide elle aussi. Mais ce bout de femme fragile dirigea un groupe bariolé créé ad hoc, pour le disque et le ou les concerts de promotion, les Luna Boots, composé de quelques-uns des noms les plus connus de la scène autochtone. Et c'est le deuxième point fort du disque: outre la qualité des textes, souvent tristes, mais frisant tout aussi souvent l'absurde, véritables danses macabres, c'est la qualité artistique de leur musique et son chant à elle (secondée pour cela par Sandra Cifani, Serge Tonnar, voire même Berny Zeches), l'interprétation des musiciens et l'arrangement final qui font qu'il est impossible de détester ce disque.
On a comparé Claudine Muno à Heather Nova, Alanis Morisette ou Norah Jones, elle se réfère plutôt à Tom Waits, on pourrait encore citer Björk pour les moments où la voix suave, presque enfantine, prend des airs de chant de nymphe. Sur scène, en live, elle chuchote, murmure à peine dans le micro, partage avec son public son manque d'assurance, ses respirations, créant presque une sorte d'intimité.
La singer-songwriter Claudine Muno marche dans le monde les yeux ouverts. Bien que ce qu'elle voit la désole parfois, le monde semble rester une source d'étonnement permanent pour elle. Plein de surprises, bonnes ou mauvaises. Celles que le disque vous réserve sont toutes bonnes.
Le CD de Claudine Muno [&] the Luna Boots Faith+Death+Love est en vente au prix de 15 euros chez les disquaires. Les Luna Boots sont: Thierry Kinsch (guitares), Serge Tonnar (guitares, voix), Matt Dawson (guitares, pedal steel), Claude Schaus (keyboards), John Schlammes (basse), Al Lenners (percussions) et Sandra Cifani (voix). Pour plus d'informations: www.maskenada.lu.