L’engagement de notre Philharmonique en faveur de la musique de notre temps, et plus particulièrement des grands – et moins grands – « classiques du XXe siècle », est emblématique d’une politique discographique audacieuse menée de longue date en synergie indéfectible avec le label parisien Timpani, lequel a bâti sa réputation, en réaction à la tiédeur des majors et de leur credo du retour sur investissement, sur l’exploration des répertoires inédits et le risque qui l’accompagne. Après un remarquable premier album qui regroupait la Symphonie, le Concerto en fa et les Chants de la mer, l’OPL, toujours sous la houlette de Marc Soustrot, remettant l’ouvrage sur le métier, poursuit la restitution des œuvres de Philippe Gaubert (1879-1941) avec, en première mondiale, Le Chevalier et la Damoiselle, une partition aux vastes proportions fournissant le soubassement musical à un ballet dont l’argument a été concocté par Serge Lifar. Une œuvre maîtresse, je dirais même plus, un testament artistique, dans la mesure où, trois jours à peine après sa création à Paris le 5 juillet 1941, son auteur succomba à une attaque foudroyante.
Composée à Cahors pendant l’Occupation, l’œuvre retrace l’arc tendu de la passion amoureuse qui enflamme les cœurs du soupirant et de sa belle, laissant transparaître en filigrane des traits dignes d’un mélodrame romantique. Gaubert y révèle une noblesse d’inspiration, une délicatesse de ton, un raffinement harmonique, qui l’inscrivent dans la lignée des Ravel, Chabrier, Roussel, Milhaud et surtout Fauré dont le Cadurcin fut le disciple et dont le rapproche un sens mélodique spontané.
Svelte, sans opulence ni ostentation, conduite avec élan et sensibilité par un maestro Soustrot fort d’un travail très fin sur les nuances, la Philharmonie respire généreusement, comme en témoigne le chant des différents pupitres que Gaubert s’emploie à mettre en exergue : le hautbois, la clarinette, la trompette, l’alto et surtout le violon (Philippe Koch) gratifié de superbes envolées tantôt brillantes, tantôt langoureuses – sans oublier l’instrument fétiche du compositeur, celui dont il fut un virtuose hors pair, la flûte (Étienne Plasman). Un « chant », disais-je, qui s’épanouit avec aisance, souplesse et musicalité dans des tempos alertes mais jamais précipités ou secs, sous-tendus qu’ils sont par une agogique palpitante.
L’ensemble exhale l’intégrité, la clarté autant que la conviction, chaque note étant à sa place, chaque soliste s’acquittant avec brio de sa tâche, apportant à la partition une coruscante variété de timbres. Nul doute : l’OPL est ici à son meilleur. Maître de l’expression et de l’émotion, il sert magistralement cette page originale qui est l’œuvre d’un compositeur injustement laissé pour compte et à laquelle cet album rend justice. Privé qu’il est du support visuel des danses, l’auditeur, en focalisant son attention sur les seules ressources – musicales – de la partition, éprouve, outre l’estime pour la cause défendue, le sentiment d’une musique d’une inaltérable beauté, toujours agréable, conventionnelle parfois voire un brin surannée, ce qui fait partie de son charme. Seul bémol : le moyen âge qu’évoque Gaubert, plus renaissant que médiéval, et – j’ai envie de dire – « de carton pâte ». Ce qui, toutefois, ne diminue en rien l’intérêt de cette gravure, car c’est finalement peu de choses en regard de la réalisation fort belle, solide et si originale dans son ensemble.
Grâce à l’implication pugnace de l’OPL – Olivier Frank, son spiritus rector, en tête –, Gaubert va-t-il enfin sortir du purgatoire en recevant la consécration discographique qu’il mérite ? On reprend espoir, en tout cas, au vu de cet admirable coffret qui bénéficie de surcroît d’une présentation très soignée, accompagné d’une notice passionnante car formidablement précise et documentée du grand musicologue Harry Halbreich. Mieux qu’une contribution notable à la connaissance de Gaubert, c’est un ouvrage à connaître absolument. Une révélation discographique majeure. À découvrir toutes affaires cessantes.