Le peintre JKB Fletcher rencontre le photographe Edward Steichen : une expérience

Dialogue

d'Lëtzebuerger Land du 24.01.2025

Echo (after Steichen), est la troisième exposition monographique de JKB Fletcher après Abundance en 2022 et Landmass en 2023 à la galerie Nosbaum Reding. Le peintre est né en 1982 en Grande-Bretagne. Ayant passé plusieurs années en Australie, après des études en Angleterre et en Californie, il s’est installé en 2013 au Luxembourg. Un changement radical s’est opéré dans sa peinture depuis l’Australie.

JKB Fletcher devait un jour rencontrer et regarder Edward Steichen (1879-1973). Mais que veut dire le titre de l’exposition Echo (after Steichen) ? Est-ce « après » ou « d’après » Edward Steichen ? Car Echo (after Steichen) est bien l’exposition d’un peintre. Il ne s’agit pas de la parcourir superficiellement et de parler de copie. Ce serait dommage de tirer des conclusions hâtives : JKB Fletcher ne projette pas une photographie de Steichen à la taille de ses toiles, pour reproduire le motif. Il ne respecte pas les cadrages du photographe, ni les règles classiques de la peinture : couche de fond blanc sur la toile puis couches de couleurs successives…

En termes de technique de peinture à l’huile sur toile, le temps de séchage de la couleur –sept jours pour le blanc, cinq pour le noir – permet à Fletcher de travailler la matière et les nuances en mouillé sur mouillé, brossage à sec et glacis superposés. Écoutons-le parler, aussi, de la quasi monochromie de Echo (after Steichen) : « The minimal palette, in pictural, aligns with a kind of clarity. By limiting your colour choices, you’re distilling the visual experience to its essentials which can make the atmospheric elements even more potent and engaging. »

La première pièce par laquelle Fletcher débuta sa série l’année dernière, est un homme-masse : l’intitulé de la photographie de Steichen, est Balzac – The Open Sky. Fletcher en a réalisé deux exemplaire. Dans la première version que nous avons pu voir dans la réserve, le peintre rejoint la fluidité presque picturale de la première version photographique (1908). C’est un travail du peintre « d’après » Steichen. Comme la deuxième version de JKB Fletcher exposée dans la première salle de la galerie est également un travail du peintre « d’après » Steichen. La prise de vue est de 1909.

La deuxième pièce de la série Concrete, concerne le Flatiron Building que Steichen a photographié en arrière-plan dans le clair-obscur. Trois impressions ont été réalisées entre 1904 et 1909, où la masse grise est appuyée chez Steichen sur le brillant noir de la rue mouillée et ponctuée des éclats de lumière de l’éclairage public. Chez Fletcher, le Flatiron est une masse, d’un gris très léger derrière les fines branches d’arbre dénudées en hiver. C’est un travail « après » Steichen. Fletcher a extrait des photographies de Steichen (on le verra encore plus loin), un sens qui lui est propre du mot « nature » : ici, le motif de la branche, prédominant.

Il est certain que la première période de Steichen photographe, appelée pictorialisme car proche du style pictural de l’époque (fin du 19e siècle, début du 20e), est une inspiration pour le peintre et plasticien contemporain JKB Fletcher. La lumière de la lune dans la nuit – que ce soit pour le Balzac de Rodin (prises de vue 1908 et 1909) ou The Pond – Moonlight (1904) « fait » la photographie : les lignes élancées des arbres au bord de l’étang, la masse physique toute en puissance du corps de l’écrivain. De la ligne à la masse, de la finesse à l’épaisseur « from lean to fat », dit Fletcher.

Le tableau Abundance | Steichen, comme la masse en grisaille du Flatiron, n’est pas un travail « d’après » Steichen. Les arbres et le chemin au bord de l’eau partagent la moitié du tableau avec le reflet des arbres inversés en miroir. Water | Steichen, est une pixélisation de points de lumière, tandis dans Lake | Steichen, une masse de pure peinture noire occupe le centre du tableau.

Il y a dans la deuxième salle de la galerie, un tout petit tableau. Un de la série Horizon | Steichen. Il n’est pas noir et blanc mais une expérience en couleurs par un mélange de bleu et de jaune. Comme Steichen s’était essayé aux possibilités techniques du mélange de pigments avec de la couleur aquarellée et de la gomme arabique sur tirage monochrome au platine. Les tirages de la photographie du Balzac de Rodin Steichen, sont en effet en couleurs : brun, bleu-gris et jaune-vert-noir.

Pour comprendre les autres tableaux de la série Horizon | Steichen exposés dans la grande salle de la galerie et le bureau, il faut revenir à un épisode de la vie d’Edward Steichen dans les forces expéditionnaires américaines durant la Première guerre mondiale. JKB Fletcher l’illustre par l’avion en piqué de la série Air | Steichen : horizon élargi, ciels de haute mer, vagues tourmentées (des photographies prises depuis un avion) sont l’occasion pour le peintre de travailler la matière picturale. Des volumes, gris, noirs, blancs, en touches épaisses.

« D’après » Steichen, « après » Steichen… Dans la salle 2, l’approche du peintre se détache de ce qui est l’essence des photographies « radicales » (straight photography) à partir des années 1915, suivant l’expression de Steichen lui-même. Avec la perspective et la profondeur, on s’éloigne du pictorialisme, voire de Steichen ? Air (les nuages), Horizon, (un diptyque de bord de mer) et deux Landmass (une rivière encaissée dans de hautes ravines montagneuses et boisées).

Et puis, il y a les peintures bleues. Blue | Steichen, Blossom | Steichen, Blue | Blossom | Steichen… « Once upon a time, blue tried to kill me », raconte Fletcher. « But I can’ be mad with something so beautifull. » Les prises de vue que Steichen a prises de son père Jean-Pierre Steichen (1854-1944) dans son jardin, sont la piste d’un héritage qui fit de son fils un botaniste passionné. Est-ce là « la » rencontre Fletcher-Steichen ? Passion du bleu de l’un, des fleurs de l’autre, textures des fleurs pour le photographe, textures des couleurs pour l’autre. On le croit.

Marianne Brausch
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