d’Lëtzebuerger Land : La présidence de l’ABBL n’est pas exactement un poste pour lequel on se bouscule parmi les directeurs des banques. Est-ce que vous vous êtes « sacrifié » ?
Yves Maas : Je ne parlerai pas de sacrifice, au contraire, c’est un honneur pour moi. Bien sûr, la présidence de l’ABBL suppose un investissement personnel qu’il faut assumer. Avec une obligation à plein temps comme CEO de Credit Suisse Luxembourg, ce ne sera pas toujours évident de combiner les deux. Mais je ne me vois pas non plus dans le rôle de la victime…
Sur la place financière luxembourgeoise, vous êtes un quasi-inconnu. Avant de revenir au Luxembourg il y a deux ans, vous avez passé quatorze ans à Zurich dans la direction de Credit Suisse. En quoi les deux places financières se distinguent-elles ?
Celle de Luxembourg est un brin plus internationale et diversifiée. Cela m’a toujours frappé : Nous réussissons à attirer des spécialistes de partout au point que, dans le secteur, les Luxembourgeois constituent une minorité. Il faut dire aussi qu’au Luxembourg, la contribution du secteur financier au PIB est beaucoup plus élevée qu’en Suisse. Et si ces dernières années, partout dans le monde, le soutien des opinions publiques à leur place financière a baissé, au Luxembourg, il n’a pas fléchi. C’est un phénomène assez unique…
Cette dépendance du secteur financier ne vous cause-t-elle pas des soucis ?
Évidemment, comme tous les ministres et politiciens, j’aimerais que notre économie soit plus diversifiée et que cette dépendance soit réduite. Mais des soucis, je m’en ferais si je pensais que le secteur connaîtrait des problèmes massifs dans les années à venir. Or, bien que nous traversions une grande transformation, le secteur reste fort.
La Suisse et le Luxembourg ont longtemps été alliés dans la défense du secret bancaire et du modèle de la retenue à la source. Or la volte-face précoce du Luxembourg sur l’échange automatique avait quelque peu envenimé les relations.
Oui, mais on ne peut pas dire que l’harmonie soit détruite pour autant. Les sujets qui touchent le Luxembourg, touchent également la Suisse. Par le passé, nous étions sur la défensive pour tenter de préserver ce que nous avions. Or le phénomène de la transparence est devenu international. Il ne se résume plus à deux, ou (si on inclut l’Autriche) à trois pays. Nous sommes arrivés à un niveau de réglementation nouveau et, en principe, nous ne nous distinguons plus en rien. Le level playing field, nous y sommes.
Grâce au business model de l’évasion fiscale, gagner de l’argent était devenu presque trop simple. Le secret bancaire a-t-il empêché une professionnalisation du secteur ?
Il a surtout nui à notre réputation. Par le passé, nous ne pouvions ni élargir nos produits ni nous lancer dans la promotion. Si nous faisions une déclaration, nous la retrouvions entièrement dénaturée le lendemain dans la presse. Nous entrons dans une phase où nous pouvons nous mesurer avec les autres places financières. Et nous n’avons pas à nous cacher. Le client d’aujourd’hui n’a pas grand-chose en commun avec celui d’il y a quinze ans. Il aura besoin d’une prise en charge tout autre. Si vous conseillez un entrepreneur qui veut laisser sa firme en héritage, vous aurez besoin d’un employé bancaire qui comprenne d’abord quel est le business du client, quels sont ses besoins, quelle est sa situation familiale et quelles structurations il désire faire. Pour s’occuper d’un client pareil, vous avez besoin de nouveaux profils professionnels.
L’économiste Thomas Picketty (Le Capital au XXIe siècle) a provoqué un débat international sur le creusement des inégalités. En se mettant au service des ultra-riches, le Luxembourg ne profite-t-il pas du phénomène décrit par Picketty ?
Dans certains pays que la place financière tente également de couvrir, on note une émergence de personnes qui ont pu rassembler en quelques années d’immenses fortunes. Bien sûr, ce sont là aussi les clients que nous tentons de servir à partir du Luxembourg.
Il y a également la politique d’attirer les HNWI au Luxembourg comme résidents ; du moins durant 180 jours par an. Le Luxembourg deviendra-t-il un Monaco-sur-Alzette ?
Je ne parlerais pas d’une politique, mais d’un phénomène. Il y a certaines personnes qui s’établissent au Luxembourg parce qu’elles ne peuvent plus s’identifier avec le système fiscal ou social de leur pays. Ces personnes sont flexibles et peuvent donc facilement se délocaliser. Or le Luxembourg n’est qu’une destination parmi d’autres. Nous ne pouvons prendre la décision à la place des concernés. Nous pouvons par contre promouvoir notre offre culturelle, scolaire et notre contexte international. Les Français qui partent pour la Belgique, pourquoi ne viendraient-ils pas au Luxembourg ?
Et les dommages collatéraux d’une telle politique, notamment sur les prix immobiliers ?
C’est certainement un effet secondaire qui ne pourra être exclu et qui n’est pas forcément positif. Mais parmi les gens qui s’installent et qui accélèrent le phénomène de la hausse des prix immobiliers, on retrouve surtout des experts qui travaillent ici, des high level skilled qui font tourner l’économie.
Le Statec et Mc Kinsey ont chacun tenté de donner des estimations chiffrées des répercussions de l’introduction de l’échange automatique d’informations. Ces projections (entre cinq et dix pour cent du total des avoirs pourraient être retirés) n’avaient pas plu à l’ABBL.
La seule réponse claire, c’est qu’il n’y a pas de réponse claire. Ce serait comme prédire le numéro gagnant au Loto ou le cours de la bourse à Tokyo dans trois mois. Du côté du private banking, si nos clients seront de plus en plus fortunés, les marges seront aussi plus réduites, ce qui fera baisser notre productivité. Et si tous parlent de l’échange automatique, la nouvelle vague de régulations poussera également à une hausse des coûts. Les banques devront donc veiller à devenir plus efficientes et certains postes de travail standardisés seront probablement délocalisés.