« La femme est l’avenir de l’homme », chantait Jean Ferrat en 1975, en s’inspirant du poète Louis Aragon. De façon moins romantique, on pourrait dire aujourd’hui qu’elle est aussi l’avenir de la croissance économique mondiale, si l’on en croit les conclusions d’un rapport que vient de publier l’Organisation internationale du travail (OIT) et initulé « Emploi et questions sociales dans le monde – Tendances de l’emploi des femmes 2017 ». Une simple réduction de 25 pour cent de l’écart entre les taux d’activité des hommes et des femmes d’ici à 2025 permettrait d’injecter 5 800 milliards de dollars supplémentaires dans l’économie mondiale, soit presque le total des PIB de la France et de l’Allemagne.
Un objectif plus difficile à atteindre qu’il n’y paraît, tant il existe d’obstacles pour les femmes : elles ont plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail, la qualité de leurs emplois reste médiocre et elles sont davantage touchées par le chômage.
En 2017, le Taux d’activité des femmes (TAF) s’élève au niveau mondial à seulement 49,4 pour cent : en baisse de trois points en dix ans, il est inférieur de près de 27 points à celui des hommes. Plus de la moitié d’entre elles sont donc exclues du monde du travail, avec de grandes disparités géographiques : l’écart va de douze points, niveau rencontré dans des zones aussi différentes que l’Afrique subsaharienne et l’Amérique du nord, à plus de cinquante points en Afrique du nord, dans les pays arabes et en Asie du sud, où le TAF est inférieur à 25 pour cent. L’écart mondial devrait demeurer inchangé en 2018 et à l’horizon 2021 il ne devrait se réduire que dans six des onze sous-régions pour lesquelles on dispose de données. Ailleurs il restera stable voire s’élargira.
Une fois entrées sur le marché du travail, les femmes occupent des statuts plus précaires. Si 52 pour cent sont salariées (à peu près autant que les hommes), quarante pour cent ne cotisent à aucun système de protection sociale. Près de quinze pour cent sont des travailleuses familiales (indépendantes accomplissant des tâches dans un établissement géré par un parent) contre 5,5 pour cent parmi les hommes. Dans les pays en développement, où près de 36,6 pour cent des femmes et 17,2 pour cent des hommes sont employés comme travailleurs familiaux (non rémunérés), l’écart est supérieur à 19 points, soit le double de la moyenne mondiale, et s’est même élargi de deux points en une décennie.
Lorsque les femmes ont un emploi rémunéré, elles travaillent en moyenne moins d’heures que les hommes, soit parce qu’elles choisissent le temps partiel, soit parce que c’est la seule possibilité qui leur est offerte. Dans l’UE en 2015, le travail à temps partiel subi (de moins de trente heures par semaine) était trois fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes (8,2 pour cent de l’emploi total contre 2,6). Dans les pays en développement, le sous-emploi des femmes, mesuré par le nombre de personnes travaillant moins que ce qu’elles souhaiteraient, peut concerner quarante à cinquante pour cent d’entre elles.
On observe une surreprésentation des femmes dans les services : 61,5 pour cent d’entre elles y travaillent, soit 20 points de plus en vingt ans. Elles sont très présentes dans les secteurs de l’éducation, de la santé et du travail social, suivis du commerce de gros et de détail. Cette « ségrégation sectorielle », qui a beaucoup augmenté au cours des vingt dernières années, se rencontre aussi bien dans les pays émergents que dans les pays développés. Les activités de services sont créatrices d’emplois, mais il s’agit d’emplois souvent précaires, peu qualifiés et mal rémunérés.
De quoi expliquer que l’écart mondial de rémunération entre les sexes est toujours de 23 pour cent. Le rapport de l’OIT note que « l’écart salarial entre les sexes n’a pas de lien avec le niveau de développement économique du pays, puisque certains pays ayant un revenu par habitant élevé figurent parmi ceux ayant les plus forts écarts salariaux ». Un constant inquiétant, car il signifie que « le seul développement économique ne suffit pas à garantir une répartition équitable ».
La priorité étant de favoriser l’accès au marché du travail, les dirigeants du G20 ont pris en 2014 l’engagement de réduire l’écart entre les taux d’activité des femmes et des hommes d’un quart d’ici à 2025. Atteindre cet objectif permettrait d’augmenter l’emploi mondial de 204 millions de postes soit de 5,3 pour cent. Soixante pour cent des emplois gagnés (120 millions) le seraient dans les pays d’Asie du sud et de l’est, c’est-à-dire en Chine et en Inde principalement, en raison de leur taille mais aussi du potentiel de progression du TAF (inférieur à 29 pour cent en Asie du sud). L’Afrique (22,5 millions de postes en plus), l’Amérique latine (17,4) et l’Asie du sud-est et le Pacifique (15,9) seraient aussi, proportionnellement, d’importants bénéficiaires.
D’ici à 2025 l’impact sur le PIB mondial serait une croissance supplémentaire de près d’un demi-point chaque année pendant huit ans, soit 3,9 pour cent au total, ou encore 5 800 milliards de dollars de plus. Près de la moitié de ce montant (2850 milliards) profiterait aux pays d’Asie de l’est et du sud. 410 milliards de dollars de plus seraient injectés en Afrique et 445 en Amérique latine. Toutefois, le taux moyen de croissance annuelle du PIB gagnerait aussi un quart de point en Amérique du Nord et en Europe, deux zones qui engrangeraient le montant appréciable de 1 050 milliards de dollars. Les recettes fiscales connaîtraient aussi une forte hausse, de 1 500 milliards de dollars au niveau mondial, pour l’essentiel dans les pays émergents (990 milliards) et dans les pays en développement (530), ce qui pourrait leur servir à financer des mesures pour s’attaquer aux écarts entre les sexes sur le marché du travail.
Le terrain semble favorable. Selon une vaste enquête OIT-Gallup publiée en mars 2017 où 149 000 adultes ont été interrogés dans 142 pays, 70 pour cent des femmes souhaitent, soit exercer une activité rémunérée (29 pour cent), soit être en situation de travailler tout en s’occupant de leur famille (41 pour cent). Selon le rapport, ces résultats valent dans presque toutes les régions du monde, y compris celles où le taux d’activité des femmes est traditionnellement faible, comme au Moyen-Orient. Point très encourageant, l’opinion des hommes est très comparable à celle des femmes. 28 pour cent d’entre eux souhaitent que les femmes de leur famille aient un emploi rémunéré à plein temps et 38 pour cent qu’elles puissent concilier travail et obligations familiales ou domestiques, soit 66 pour cent d’avis favorables, une proportion qui augmente avec le niveau d’instruction.
Encore faut-il pouvoir concrétiser cette volonté. L’équilibre entre travail et vie familiale est cité dans le monde entier, mais surtout en Europe, comme l’un des défis majeurs que doivent relever les travailleuses rémunérées. Mais d’autres sujets comme les traitements inéquitables, les pratiques abusives, le harcèlement au travail, la pénurie d’emplois suffisamment rémunérateurs et les inégalités salariales sont de grandes préoccupations dans d’autres régions du monde.
En Afrique subsaharienne, par exemple, comme dans de nombreux pays en développement, il y a autant de personnes qui citent les « traitements inéquitables ou discriminations » au travail (19 pour cent) que l’équilibre travail-famille (18 pour cent). En Amérique du Nord, les sondées ont plutôt tendance à citer les inégalités salariales (trente pour cent), suivies par l’équilibre travail-famille (seize pour cent) et les traitements inéquitables ou discriminations (quinze pour cent).
Selon la directrice générale adjointe de l’OIT, Deborah Greenfield, la priorité des dirigeants politiques devrait être d’alléger les contraintes qui pèsent sur les femmes quand elles choisissent de participer au marché du travail et de supprimer les obstacles auxquels elles sont confrontées une fois qu’elles sont en poste. Vaste programme, dont l’application se heurte aussi à des attitudes culturelles (comment encourager les hommes, dans certains pays, à prendre leur juste part des tâches domestiques) et religieuses.
Mais l’OIT affiche sa détermination puisque « examiner la place et la condition des femmes dans le monde du travail et impliquer les travailleurs, les employeurs et les gouvernements dans des actions concrètes pour réaliser l’égalité des chances et de traitement » fait partie des sept initiatives mises en œuvre par l’institution dans le cadre de la préparation de son centenaire en 2019.