Le mariage pour tous est passé comme une lettre à la poste la semaine dernière. La cérémonie laïque de l’acte civil pour célébrer la Fête nationale a ravi jusqu’à la dernière mémé devant son téléviseur, tellement les discours furent dignes et les robes des dames seyantes. Il serait temps qu’au-delà de ces actes symboliques qui signifient un peu lourdement un changement d’ère, la majorité bleue/rouge/verte commence à faire de la politique. De celle qui peut aussi faire mal. De celle qui fait perdre des points de pour cent dans les hitparades du Politbarometer – donc de celle que revendique le Premier ministre Xavier Bettel (DP).
Et quel meilleur geste politique pour se rendre impopulaire que de couper dans des aides financières ? La tâche ingrate revient à Claude Meisch (DP), le ministre de l’Éducation nationale qui veut se montrer responsable de la gestion des deniers publics en bon père de famille. Donc éviter que le coût du subventionnement des études supérieures n’explose suite au jugement de la Cour de justice de l’Union européenne qui a imposé au grand-duché d’ouvrir le droit à ces aides aux enfants de travailleurs frontaliers. Dans le processus, Claude Meisch veut ménager la chèvre et le chou, se montrer généreux et ferme à la fois, impliquer les étudiants dans les négociations tout en avançant vite pour que la réforme puisse entrer en vigueur avant le début de la prochaine année académique en août. Donc elle devrait pouvoir être votée avant la fin de la session parlementaire, en juillet encore.
Or, ce qu’on observe, c’est un brouhaha assez déconcertant où un projet de loi que le Conseil d’État critique comme étant imprécis semble ouvert à tout vent, où les amendements se comptent par dizaines – après une première charrette de six amendements du gouvernement fin mai, la majorité en a adopté pas moins de vingt vendredi dernier en séance de la commission parlementaire. Les étudiants manifestent, déposent des pétitions, sont écoutés par le ministre et par les députés – et perdent en influence parce qu’ils ne partagent pas les mêmes revendications, l’Acel étant nettement plus conciliante que l’Unel et l’Aktionskomitee 6670, plus radicaux et plus à gauche. Si cette manière de faire de la politique devenait la norme de ce gouvernement, ce serait une nouvelle manière de légiférer – peut-être plus démocratique, en tout cas certainement plus compliquée. Dans ce modèle, un projet de loi serait une sorte de texte martyre, et la consultation des concernés ne se ferait qu’a posteriori du dépôt à la Chambre des députés. Qui, elle, gagnerait en pouvoir, ce qu’elle revendique depuis tellement longtemps, mais verrait aussi sa charge de travail augmenter considérablement. Seulement, voilà : les amendements des partis de l’opposition, CSV, Déi Lénk et l’ADR, soumis lors d’une dernière réunion de la commission ce mardi, ont été refusés d’un revers de la main par la majorité – où les deux partis de la coalition, le LSAP et les Verts, sont singulièrement absents du débat public.
Il ne voudrait pas « négocier comme au bazar de Marrakech » avait dit Claude Meisch lors d’un débat télévisé. Or, c’est exactement l’impression qu’on a actuellement dans ce dossier : celui d’un grand bazar où chacun tchatche pour défendre les intérêts du lobby dont il se sent le plus proche. Le DP veut être responsable et essayer de garder le contrôle du coût de ces quelque 25 000 aides par an auxquelles s’attendent les services du ministère. Il a proposé un système en plusieurs piliers, bourse de base, bourse à la mobilité ou bourse familiale, mettant toutefois un accent sur la sélectivité sociale – cette part de la bourse étant la plus importante dans son système. Les libéraux veulent développer l’idée d’une sélectivité sociale de la politique d’allocations familiales, prenant en compte que ces aides sociales reviennent surtout aux enfants de travailleurs frontaliers. Le CSV par contre, après avoir entendu les étudiants qui, tous, demandaient une augmentation de la bourse de base, proposent de diminuer la partie bourse sociale et d’utiliser cette somme pour fixer la bourse de base, accordée à tous les étudiants, aussi ceux des classes moyennes et supérieures, à 2 750 euros (contre 2 000 dans le modèle Meisch). Le CSV resterait donc fidèle à la philosophie Biltgen.