Art contemporain

Just walking ; not talking

d'Lëtzebuerger Land du 30.10.2020

Virgil Abloh (le créateur de la marque de mode ultra-hype Off White) y publie, aux côtés de Hans-Ulrich Obrist, d’Anri Sala, d’Olivier Zahm, de Rita Ackermann, de Richard Pince ou de l’actrice new-yorkaise iconique Chloë Sevigny. Du très loquace critique d’art new-yorkais Jerry Saltz, qui a eu un prix Pulitzer pour son texte My life as a failed artist, on peut feuilleter ses photos prises en flâneur lors de ses promenades dans la nature réunies sous le titre Just walking ; not talking (2018) et de la créatrice française agnès b. des associations d’images impressionnistes. Agnès b. est d’ailleurs certainement une référence pour l’éditeur Aaron Fabian, elle qui publie depuis 1997, en association avec Christian Boltanski et Hans-Ulrich Obrist, son Point d’Ironie, un magazine d’art qui invite artistes, cinéastes et photographes pour des cartes blanches en format affiche diffusées gratuitement et en grand tirage (entre 100 000 et 300 000 exemplaires) dans ses magasins de vêtements à travers le monde.

« Je ne publie que ce que j’aime, je demande simplement aux gens qui ont un travail intéressant de me donner du matériel et j’en fais des livres ou des magazines », explique Aaron Fabian. Le graphiste et artiste d’origine hongroise a fondé Innen en 2006 déjà, et ouvert en 2017 une galerie-bureau à Zurich, Haldenbachstrasse. Il y montre actuellement le duo d’artistes Little Warsaw (András Gálik et Bálint Havas), à l’occasion de la publication de leur zine intitulé Burn out, ce qui a motivé Erna Hécey (également d’origine hongroise, décidément…) à non seulement remontrer des œuvres de Little Warsaw, qu’elle représente, mais aussi d’inviter Fabian à proposer un pop-up-store dans son espace au Limpertsberg.

On y entre un peu comme dans une bijouterie, tellement la variété et l’esthétique de ces magazines impressionnent. Ils sont pourtant très DIY dans leur aspect (format A5 plus ou moins, papier modeste) et pas chers (vendus en principe aux alentours de dix euros, pour des tirages de quelques centaines d’exemplaires seulement), mais la diversité de leurs modes d’expression, photos ou dessins surtout, donne un survol intriguant de la scène artistique contemporaine mondiale. Innen est cité en référence dans les salons de zines comme Printed Matter à Los Angeles et à New York, I Never Read Art Book Fair à Bâle ou la Tokyo Art Book Fair. À côté des livres monographiques, Aaron Fabian publie aussi Zug, un magazine biannuel qui vient de fêter ses dix ans.

Ce qui démarque les fanzines de Innen des magazines classiques – comme ceux venus du monde entier promus par exemple lors de la foire Colophon organisée par Mike Koedinger au Casino en 2009 –, c’est qu’ils se passent entièrement de textes. On pense forcément aux Cahiers d’images lancés récemment au Luxembourg par le graphiste Reza Kianpour (voir d’Land du 10 juillet) : des publications légères, ayant un côté ludique, diamétralement opposées aux pamphlets avec leurs messages politiques. Les éditeurs de fanzines artistiques prouvent que, malgré l’avènement des réseaux sociaux et du clickbait généré par les images sur Snapchat, TikTok, Pinterest ou Instagram, la sélection, la mise en page et l’impression de publications papier apportent une réelle plus-value. À feuilleter les livres-fanzines de Innen, on ne peut que leur donner raison : on flâne dans des sensibilités très différentes, le papier, la composition, les couleurs, le cadrage reflètent une vraie intériorité poétique. L’exposition chez Erna Hécey célèbre cette légèreté.

Le pop-up de Innen Library chez Erna Hécey (20C boulevard Servais à Limpertsberg), accompagné d’une exposition de Little Warsaw, dure encore jusqu’au 31 octobre. Ouvert les jeudi, vendredi et samedi sur réservation via office@ernahecey.com.
Plus d’informations : ernahecey.com et innenzines.com.

josée hansen
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