Art contemporain

L’art à l’école

d'Lëtzebuerger Land du 03.05.2019

Le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain mérite plus que jamais son nom. Après l’exposition exceptionnelle Buveurs de quintessences de l’excellente Fondation Darling à Montréal (voir d’Land du 25 janvier 2019), voici l’approche non moins intéressante d’une école d’art réputée : la Haute École des Arts du Rhin (Hear) de Strasbourg.

D’art contemporain, il s’agit effectivement ici et d’un forum aussi : le Casino donne donc depuis quelque temps et en ce moment le meilleur à voir en matière d’art au grand-duché. L’exposition Caméra silex patates germées présente le travail de l’unité de recherche de l’école, « Faire-Mondes » et plus précisément du groupe pédagogique « No Name », qui réunit des étudiants de la deuxième à la cinquième année. Tout fait sens, les mots choisis pour les intitulés au sein de l’école et la vingtaine de travaux présentés au Casino sur la thématique de cette année scolaire 2018-2019 : l’évolution.

On voit ici de l’art pur. Ce n’est pas si fréquent, puisque le fait qu’un artiste devenu professionnel a des contraintes d’ordre financier et quoi qu’on dise, est influencé par les tendances du moment, même s’il participe à les élaborer. Cela ne veut pas dire que les étudiants de la Hear soient des utopistes. Non. Ils sont bien de notre époque et donnent leur interprétation de la globalisation, de l’écologie et de la politique, enjeux majeurs pour le futur, cherchent s’il peut y avoir continuité, où sont les changements. Ou est-ce que l’avenir sera disruptif ?

Contrairement aussi à beaucoup d’œuvres actuelles pessimistes et plutôt déprimantes (quoi que assurément réalistes), voici des exercices de style, frais, joyeux, comme l’indique le titre : Caméra silex patates germées. Une alchimie de mots dont on ne dira pas plus ici : au visiteur de lire le texte poétique et drôle qui ouvre ce festival d’imagination(s). C’est d’ailleurs sous des étais de chantier qu’il faut passer pour commencer. L’envers du décor de la première installation, celle de Pierre-Claude Malet : c’est une installation vidéo où on voit des filles aux seins nus (Femen ?, guerrières ?) danser un corps à corps avec un unique garçon devant l’horizon d’un champ labouré. Kolbshame, c’est la lutte de l’avenir des femmes, des hommes et des deux pour l’écologie.

Dans la vidéo suivante, Do you sell fake money ? de Garance Oliveras, la monnaie de singe du titre est symbolisée par un Pachira Aquatica, un arbre aux troncs tressés, ici en pot, qui pousse au naturel et symbolise la fortune au Mexique. La jeune femme y est en résidence. Ce récit, comme les cinq autres œuvres de cette première partie de l’exposition, parle de coutumes et de civilisations. L’économie est liée, comme le tronc de l’arbre, à une part de bonne fortune : comme on le voit avec le dragon qui traverse la fête porte-bonheur du Nouvel An de la communauté chinoise locale et l’ascension d’une foule mexicaine, vers le sommet d’une pyramide aztèque pour implorer au dieu Soleil.

Suivent cinq pièces sur la nature, humaine comprise et de leurs rencontres de plus en plus hasardeuses. La projection de Marie Mercklé L’avocat des animaux, une succession d’images façon diaporama à l’ancienne, est le récit fabuleux de « Noé soigneur au zoo, taxidermiste spécialiste en droit de l’environnement et sauveur de hamsters ». Les yeux en mouvement et les paupières closes d’Euna Lee sur l’arrière d’une silhouette découpée à la face vierge, parlent « de fabriquer une nouvelle histoire, d’un changement quotidien qui peut engendrer une évolution personnelle perpétuelle ».

Plus classiquement, le diaporama de Margot Derumez Surveillance niveau 0 (c’est le seul travail de l’exposition réalisé sur place, au Ban de Gasperich), montre la croissance exponentielle de ce nouveau quartier de Luxembourg et ses laissés-pour-compte : herbes folles, bouts de friches. Que deviendront ces fragments d’espace encore à l’état sauvage ? Il y a là de quoi en effet observer des fragments d’espace au niveau 0… L’espace augmenté lui, existe réellement au Casino ! On enfile un casque de lunettes 3D avec écouteurs intégrés et on se retrouve dans une pièce d’Elvis – canapé rose, lunettes dorées, peignoir en satin blanc. Ces nouvelles chansons inventées du King sont remixées par un programme d’ordinateur. Un karaoké virtuel de Sandro Berroy, génial !

Dans la catégorie représentation de l’évolution de la génétique et de l’intelligence artificielle, on citera le travail assez complexe de Milivanh Jantzen Il était déjà trop tôt sur cette évolution et ses ratés, la poétique dansée d’On ne risque pas de tenir longtemps de Verane Kauffmann, où deux personnages essayent d’enfiler et d’interagir dans un costume assemblé de manière inextricablement enchevêtré. Notre coup de cœur va aux vêtements en latex (petite culotte, marcel, etc.) colorés, cloutés, pourvus de gros colliers de chaînes fétichistes. La marque technologique futuriste Cubensis Hawaiian inventée par Jules Maillot promet des sensations inédites évidemment merveilleuses et érotiques !

Retour en arrière, enfin. Le récit immémorial d’un village piémontais a fait le voyage de Stasbourg à Luxembourg dans sa caisse de transport pour se déployer au milieu du Casino. Piciariùs d’Alexandre Caretti, raconte qu’entre 1890 et 1910, le fou du village est monté en haut d’une falaise, a dressé un panier d’osier au-dessus de sa tête en guise de parachute et s’est élancé pour s’échouer Piazza dei Caduti… la place de morts, mort. Fou-rire garanti et frissons à venir avec le retour du loup en France qui a traversé les Alpes italiennes. C’est une installation de Ludovic Hadieras, en forme de tente au camouflage de chasse (immaculé) où git le masque du loup. Il l’enfilera le dernier jour de l’exposition, le 19 mai à 17 heures lors d’une performance et le loup sera ainsi arrivé jusqu’à Luxembourg. Il remontera de la vallée de la Pétrusse en passant par le Pont Adolphe jusqu’au Casino.

No Name – Caméra silex patates germées est à voir au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain jusqu’au 19 mai ; www.casino-luxembourg.lu

Marianne Brausch
© 2023 d’Lëtzebuerger Land