Plié, embouti, boulonné : Le métal se décline sous toutes les formes d’assises au 21e siècle à la Koschthal à Esch

Métal de luxe

d'Lëtzebuerger Land du 01.07.2022

La Konschthal participe à l’année culturelle Esch2022 avec une exposition de design contemporain en métal, rapport évident au passé métallurgique de celle qu’on appelle encore la Métropole du fer. Le titre est explicite Metal Works – Designing & Making. Mais d’abord, le visiteur est accueilli avec un circuit géant de billes, dont les lignes, les courbes et autres grands huit, parcourent les trois étages de la nouvelle institution culturelle du boulevard Prince Henri.

La bille (ici une balle blanche en PVC) de l’installation Distance (2004) de Jeppe Hein, artiste danois né en 1974, est un jeu d’enfants agrandi à l’échelle XXL et, comme le souligne Christian Mosar qui dirige le lieu, c’est « une machine, une mécanique à contempler avec ses bruits et ses sons ». L’ancien magasin de meubles, à la structure, aux murs et au sol désormais bruts, se prête évidemment très bien à l’entrelacs des pieds, poteaux, arceaux métalliques et rails aux circonvolutions savantes, remplissant esthétiquement parfaitement les étages et sur lesquels glisse la boule que l’on actionne en entrant. C’est surtout le son qui résonne dans toute la Konschthal que l’on retiendra, ainsi que l’odeur de métal travaillé flottant dans l’air, qui rappelle, bien sûr, les usines.

Le banc cabré, blanc, à l’entrée du bâtiment est aussi de Jeppe Hein. Le Modified social bench, (2012) fait partie du parcours d’œuvres dans l’espace public Nothing is permanent. Il ne pouvait que faire halte devant la Konschthal. (Lire page 16). C’est une création d’artiste, alors que les pièces choisies pour Metal Works – Designing & Making, pliées, embouties, soudées, extrudées... sélectionnées et mises en espace par Georges Zigrand suivant leur mode de fabrication font partie d’une sous-division de l’architecture d’intérieur : le design. Voici l’iconique Arm Chair Tom Vac de Ron Arad (1997), avec son piétement métallique et son assise en aluminium chromé. À poser (par exemple) sur l’étagère filigrane en aluminium moulé de Michael Young Retail shelving system (2016), la série des vases Nuages, en aluminium anodisé de Ronan et Erwan Bouroullec.

Dans la série des pièces usinées et assemblées (ici par soudure), voici la chaise et la table de bureau Officina de 2015 – l’aménagement de bureaux étant également une catégorie où les deux frères excellent. Parmi les pièces assemblées par boulonnage et éclisses, on reconnaîtra, encore de Ron Arad, l’incontournable Well tempered chair en fines feuilles de métal courbées et plus loin, le tabouret Plopp stool d’Oskar Zięta (2009), en métal expansé, laqué. Le nom d’Oskar Zięta est moins connu que son tabouret qui est pourtant un exemple type du glissement du déclin de la métallurgie industrielle vers l’usage domestique. Son succès étant dû paradoxalement à ce qu’il ressemble à un siège en plastique, matériau aujourd’hui honni…

Célébrissime encore, voici Bent (2006), siège bas en acier plié poinçonné aux pliures du Luxembourgeois Christophe de la Fontaine et l’épure de chaise longue de Maarten Van Severen, hommage à celle de Le Corbusier, LC95A (1993-1995), en aluminium courbé et ciré. Metal Works – Designing & Making se partage entre les réinterprétations de l’esprit des pionniers du 20e siècle aux formes et assemblages simples, tels Le Blanc à l’assise incurvée de Xavier Lust, (2000), la pliure (pieds et plateau) de la Pallas table de Konstantin Grcic, (2003) et des expérimentations plus sophistiquées. Le tabouret H.E.A. 310 au piétement en acier et assise en cuir telle une scelle de moto de Christophe de la Fontaine, le maillage de la Pillon chair de Tom Dixon, allusion à un pylône électrique.

Metal Works – Designing & Making est un catalogue complet du design contemporain. On se promène ainsi du fauteuil toupie Spun chair (acier poli, 2016) de Thomas Heatherwick au pouf Cloud en aluminium extrudé martelé (2018) de Sigve Knutson. Le pouf et le fauteuil MT et BC (2016) en aluminium soufflé de Michael Young ressemblent paradoxalement à du béton. Tout est techniquement possible au 21e siècle sauf peut-être que les expérimentations des pionniers du 20e se voulaient démocratiques et accessibles à Monsieur et Madame Tout le Monde grâce à la fabrication en série. Devenu icônique et produit de mode au 21e siècle, le design est définitivement devenu un plaisir élitiste et cher.

Distance de Jeppe Hein et Metal Works – Designing & Making sont à voir
à la Konschthal, (29-33 bd. Prince Henri
à Esch/Alzette) jusqu’au 4 septembre

Marianne Brausch
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