Quelle que soit la manière dont on aborde le sujet, ils ou elles fascinent : les cerfs-volants et les machines volantes. Au Japon, pays d’origine de Susumu Shingu, les cerfs-volants ont une très ancienne et toujours populaire tradition. Importés de Chine au VIIIe siècle, on les voit flottant sous forme de poisson aux fenêtres pour la fête des garçons et ils donnent toujours lieu à des joutes aériennes où s’affrontent les populations de villages entiers, ornés de dieux et de diables effrayants.
Le cerf-volant est un objet populaire, de fabrication bon marché. Un peu de papier Japon suffit à la voilure de ces petits objets dont la structure est en tiges de bambou. Plus savamment, leur fabrication traditionnelle est encore maintenue par des artisans spécialisés qui ont recours à du chanvre, des cordages, voire du coton, du lin ou de la soie pour des pièces de grande envergure aux structures, attaches et décors sophistiqués. Des pigments naturels sont appliqués sur le papier léger.
Dans l’exposition, c’est sans doute les grandes bandes de papier, aux couleurs franches, quasi abstraites de A toast to the rain II, qui clôt l’exposition, qui raviront les amateurs d’art conceptuel, tout comme deux pièces qui se détachent, tel des parachutes sur le grand mur crème de la grande nef. Ces œuvres, ont la particularité d’arborer diverses couleurs, ce qui leur donne un aspect moderniste, voire de costumes de ballet (Susumu Shingu en crée aussi), alors que la majorité sont tenues dans des tons uniformes, souvent le blanc ou le jaune.
Les spaceships de Susumu Shingu font aussi penser aux dessins de machines volantes de Léonard de Vinci. Ceci vaut principalement pour les pièces exposées dans la grande nef du Mudam, dont les structures jouent en particulier avec celles des vitrages de la grande verrière de Ieoh Ming Pei. Mais le monde naturel est présent aussi, suggérant par exemple un vol d’oiseaux. N’oublions pas que par le passé, les artistes japonais ont souvent Illustré leurs estampes d’oiseaux, notamment de grues, dont le vol est symbolique de l’arrivée et de la fin des beaux jours...
L’exposition porte tout simplement à rêver, y compris de voler, comme Icare. On peut aussi analyser de manière plus cartésienne les assemblages métalliques et en fibre de carbone sophistiqués, élaborés avec des ingénieurs pour défier les forces de la gravité. Calder, ses stabiles et ses mobiles bien sûr viennent ici également à l’esprit et l’architecte Renzo Piano, dont une des réalisations en particulier est connue pour jouer et travailler avec le vent (le centre culturel Jean-Marie Tjibaou à Noumea), est un ami de Susumu Shingu.
On ouvre ici une parenthèse pour dire que ce n’est pas un hasard si les Japonais ont honoré du titre de trésor vivant la sculpteure Marta Pan (1923-2008), l’auteure des Trois Îles au Parc Central, qui utilise les mêmes éléments pour faire se mouvoir des montagnes symboliques sur le petit lac. Une œuvre installée de manière permanente à voir ou découvrir au Kirchberg. Là où Susumu Shingu, qui travaille depuis plus de cinquante ans sur cette approche très japonaise, est bien de son époque, c’est qu’il parcourt le monde avec ses drôles de machines pour attirer l’attention sur le fait que l’eau et l’air, indispensables à notre séjour sur terre, sont en danger.
Tous les objets volants de cette vaste présentation (il y en a des futuristes aussi qui font penser à des stations orbitales, des fusées) viennent de la galerie parisienne Jeanne Bucher Jaeger, qui consacre simultanément une exposition à l’artiste à Paris et publie un catalogue. On peut regretter, de la part du Mudam, cette orientation monographique. Mais ne boudons pas notre plaisir et parcourons l’univers de Susumu Shingu. Sa Wind caravan ceint le Mudam, où elle est mue par le vent du Kirchberg, tandis que l’eau agite les bras mécaniques du Water tree au centre de la grande nef. Tout autour, tout n’est que légèreté et beauté, ces caractéristiques si japonaises pour lutter contre la pesanteur.