Il a porté son regard de photographe, plein de tendresse, et celui, plus distancé, de son objectif sur les frontières d'Est en Ouest, sur la Roumanie, Cuba, le Laos, le Vietnam, le Japon, Tokyo ou, l'année dernière, sur New York. Yvon Lambert, l'aristocrate des photographes luxembourgeois, travaille parfois selon ses propres projets, souvent sur commande. Ses tirages argentiques en noir et blanc très contrastés sont souvent de véritables natures mortes, des compositions dans lesquelles plusieurs plans se superposent, où il se passe quelque chose à chaque niveau. Et souvent, ces images ont quelque chose d'a-temporel, comme si elles étaient hors du temps, comme si on ne pouvait plus jamais les dater. C'est exactement ce qui se passe dans Brennweiten der Begegnung, un magnifique livre que vient d'éditer la Ville de Differdange avec les photos qu'Yvon Lambert a prises dans leur commune, à Differdange, à Lasauvage, à Niederkorn, au Fousbann et à Oberkorn, ainsi que des textes de Nico Helminger, des miniatures parfois poétiques, parfois pleines d'humour, parfois absurdes comme la vie. Le livre est le fruit d'une commande que la ville a passée aux deux artistes, le photographe et l'auteur, et qui s'est étalée en gros sur deux ans, le portrait photographique ainsi dressé d'une ville au début du XXIe siècle fut ponctué par plusieurs expositions à Differdange et à Luxembourg. Le livre en est en quelque sorte le témoignage. Ce qui surprend autant que cela frappe lorsqu'on feuillette le livre pour la première fois, c'est à quel point cette ville qui nous est pourtant si proche, si familière, voire banale, est transfigurée dans le regard d'Yvon Lambert. Les arts et traditions populaires, les fêtes et les sports, le travail à l'usine et le dimanche à la piscine ouverte, le regard d'une petite fille, une femme qui attend le train, un cul de vache, l'ombre d'une tour de refroidissement, les chiens errants et les figures d'une crèche de Noël abandonnées sur le trottoir, tout devient source d'étonnement dans le livre. Les images vivent du noir et blanc très saturé et encore plus contrasté, des ombres souvent très présentes, d'un cadrage rigoureux dans lequel il n'y a pas un seul, mais plusieurs centres d'attraction qui attirent le regard. Ici aussi, il s'avère quasiment impossible de situer les images dans le temps et l'espace. Les légendes disent le lieu et l'année de la prise de vue, mais là aussi, on semble se situer dans une sorte d'a-temporalité, d'universalité des images, comme une suite de son portrait de l'humanité. Yvon Lambert a échappé aux images d'Épinal, aucune (ou presque) des photos ne fut prise aux endroits «typiques» de la ville, le maire Claude Meisch n'y apparaît qu'une seule fois. Les places de la mairie et autres icônes au centre du pouvoir politique ou économique - qu'on redoute toujours dans ce genre de commande - manquent dans le livre. Heureusement. Par contre, Yvon Lambert montre presque les hors-cadre, les arrières fonds et les combles des bâtiments, la nature paisible à des endroits qu'on pourrait croire banals, les miroitements dans les vitrines des magasins, les chats qui s'enfuient et la chèvre blanche perdue devant l'usine abandonnée. Nico Helminger complète le livre avec quelques textes aussi courts que minimalistes sur sa ville natale, qu'il semble avoir redécouverte pour ce livre avec tout autant d'émerveillement qu'Yvon Lambert, touché par les mêmes petits événements quotidiens. Qui prennent toute leur ampleur dans son emploi parcimonieux de la parole et du silence - qui font écho à l'ombre et à la lumière du photographe. Un livre sublime et touchant.
Yvon Lambert et Nico Helminger: Brennweiten der Begegnung; édité par la Ville de Differdange, juin 2005 ; 26 pages, 65 euros ; ISBN : 2-919924-01-X. Le livre peut être commandé au service culturel de la Ville de Differdange par téléphone : 58 40 34-1 ou en envoyant un e-mail à l'adresse: s_culturel@differdange.lu.