Bien qu'il fût une des premières victimes de la crise sidérurgique et qu'il soit aujourd'hui enseveli sous les décombres du mur de Berlin, le Parti communiste luxembourgeois (PCL) joua un rôle singulier dans l'histoire du pays. Mais une culture du secret au sein de l'unique organisation anti-systémique du Grand-Duché jusqu'au début des années 1970 et les partis pris politiques de la majorité des historiens font que son histoire reste mal connue.
Dans son mémoire de maîtrise, qu'elle vient de publier sous forme de livre, Stéphanie Kovacs se penche sur les deux fondations du parti et décrit le Communisme et anticommunisme au Luxembourg 1917-1932. L'auteure part des mouvements révolutionnaires à la fin de la première guerre mondiale pour en venir à la scission du Parti socialiste en 1921 - provoquée en dernière instance par la question toujours actuelle de la relation entre les partis et les syndicats. Comme cette partie du livre résume avant tout les travaux connus de Ben Fayot, Henri Wehenkel ou Denis Scuto, c'est l'intérêt qu'elle voue aux différentes formes de l'antibolchévisme et anticommunsime qui contribue à son originalité.
Viennent ensuite le déclin et la décomposition du jeune parti, inspiré par la Révolution d'Octobre, mais inexpérimenté, sans moyens et victime de la répression policière après l'échec de la grève de 1921. Quant aux adversaires du parti, l'auteure fait la nuance entre un anticommunsisme sécuritaire et xénophobe du gouvernement, antisoviétique des socialistes, religieux et antisémite des catholiques. C'est "la traversée du désert" (p. 208) pendant les années vingt.
À partir de documents du Komintern "rapatriés" dans les années 1980 par le PCL, Stéphanie Kovacs fournit des détails intéressants sur le déroulement du congrès de 1928, qui a permis la refondation du parti. Après que les camarades soviétiques n'aient plus attendu le support de révolutions en Europe de l'Ouest et se furent résignés à construire le socialisme dans un seul pays, le PCL rené de ses cendres était libre de faire de même. Une stratégie qui lui valait un regain d'influence au début des années trente et le privilège d'être un des rares partis communistes au monde dirigé par un président au lieu d'un secrétaire général...
Pour conclure, l'auteure estime que "c'est sans doute dans le rejet systématique de toute idée de fierté nationale qu'il faut chercher la cause principale de la faible progression du communisme au Luxembourg" (p. 421). Mais l'"Explosio'n vum nationale Gefill" dans les années 1920 que remarqua D'Natio'n (1925/1), n'était-elle pas plutôt une affaire de la petite bourgeoisie que du mouvement ouvrier?
Et dans un pays industrialisé avec retard, habité par les premières générations d'ouvriers luxembourgeois et des immigrés qui repartaient le plus souvent après quelques mois ou années, ne faut-il pas se demander plutôt comment le Parti communiste a fait pour s'implanter malgré tout? Ce sont peut-être là les limites d'une étude qui s'intéresse surtout aux discours des organisations communistes et anticommunistes, à ce qu'ils disent plutôt qu'à ce qu'ils font, en négligeant le contexte économique et social.
Mais peut-on vraiment faire aussi largement abstraction des conditions de vie des ouvriers et des ouvrières - et de leur rôle à eux dans tous ces combats - si on veut comprendre l'évolution d'un parti ouvrier?
Stéphanie Kovacs: Communisme et anticommunisme au Luxembourg 1917-1932; Luxembourg 2002, 458 p., 22 euros