Elle n’est pas encore vraiment arrivée au Luxembourg, cette crise économique et financière qui fait souffrir les États, et surtout les peuples grec, italien, portugais, espagnol. En première ligne avec eux, les artistes sont dans la rue, à manifester contre la politique d’austérité qui étrangle leurs compatriotes – même Mikis Theodorakis, le plus célèbre des compositeurs grecs au Luxem[-]bourg, 86 ans, se fit asperger de gaz lacry[-]mogène par les forces de l’ordre. En France, en amont des élections présidentielles du 22 avril, et bien que les principaux candidats aient affirmé ne pas vouloir toucher aux financements de la culture, les artistes s’engagent aux côtés de Nicolas Sarkozy (UMP), François Hollande (PS) ou, de plus en plus souvent ces der[-]-niers temps, de Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) ; des pétitions en faveur de la création artistique circulent, de grands meetings s’organisent un peu partout.
Au grand-duché, rien de tout cela, pas de ferveur révolutionnaire, pas de collectifs frondeurs ou joyeusement chaotiques qui militent pour la liberté de l’art, pour lutter contre la manipulation de l’indexation automatique des salaires ou la réforme du système de pensions. En deux décennies, une nouvelle génération d’artistes est sortie des écoles des beaux-arts et des universités, ceux qui ont toujours connu le Casino et qui ne se souviennent même plus que le Mudam, le Musée d’histoire de la Ville et la Villa Vauban ou encore le Carré Rotondes, le Kiosk de la place Bruxelles et les galeries de Dudelange sont des institutions relativement récentes pour lesquelles il a fallu militer, s’engager.
Beaucoup de ces artistes semblent repus, car ils ont l’habitude de la commande, publique ou privée, qui précède l’œuvre et pas l’inverse : l’œuvre qui existe grâce au besoin, à la volonté ou au désir de l’artiste et est acquise ensuite par un collectionneur ou une institution publique. Or, dépendre entièrement de la commande, c’est aussi devoir s’adapter à l’attente du commanditaire, i.e. ici souvent l’État, par le biais de commissaires et curateurs qui choisissent des thèmes soit grandiloquents, soit parfaitement futiles, mais toujours utiles dans leur CV à eux
C’est aussi s’adapter à ces attentes, qui suivent les discours politiques à la mode. Actuellement, les deux grands mots d’ordre sont « professionnalisation » et « export ». Chaque musicien, chaque cinéaste, chaque photographe et chaque artiste peintre doit désormais être un porte-étendard pour l’image du grand-duché à l’étranger – voyez, on n’est pas qu’une place financière plus ou moins opaque mais aussi un centre de création culturelle ! –, l’argument qui rend même tout sucre tout miel le ministre des Finances Luc Frieden (CSV), qui n’est pas réputé être un grand défenseur de l’art.
Or, l’art n’est pas neutre. Il s’inscrit dans la société où il se crée, et peut être de droite, conservateur, uniquement décoratif et veillant à embellir l’état des choses, ou de gauche, critique, autonome, progressiste, mettant en cause des inégalités sociales ou économiques. Ici, comme ailleurs, les deux existent, mais seules quelques voix, dont Guy Rewenig (voir page 56) Serge Tonnar ou Filip Markiewicz, s’élèvent contre l’injustice, l’extrême droite, la politique économique et sociale. On aimerait plus de ces voix dissidentes, davantage d’artistes subversifs qui exposent dans un hangar désaffecté ou un bar miteux par le seul besoin de dire le monde à leur façon et fustiger la violence de la société actuelle.
Parce que, à côté du public, les artistes et l’art devraient être au centre de la politique culturelle, et pas les derniers après que soient déduits les frais de personnel, de l’administration, du bâtiment et du programme événementiel, nous avons choisi de leur consacrer la série de photos qui illustrent ce supplément. Il s’agit d’un échantillon non-représentatif de créateurs et d’interprètes qui symbolisent la diversité de la culture, aujourd’hui au Luxembourg.