« De Leo ass e feine Kärel » Vendredi dernier, 5 août, au soir à Mersch. Quelque 300 personnes, surtout des hommes d’un âge certain, assistent à la présentation, par l’archevêché, des grandes lignes du projet de loi « portant sur la gestion des édifices religieux et autres biens relevant du culte catholique » que le ministre de l’Intérieur Dan Kersch (LSAP) avait dévoilé quelques heures plus tôt à la presse et que le vicaire général Léo Wagener a commenté dans la foulée. Ce soir-là, ce sont les représentants des 285 fabriques d’églises du pays qui ont accouru pour savoir à quelle sauce elles seront mangées. À la radio publique 100,7, Leo Wagener se réjouira lundi matin qu’il a été soutenu et applaudi par les représentants locaux des fabriques d’églises, bien que la réunion ne fut « pas facile ». « Il a été soutenu en tant que personne, parce qu’il est populaire, tempère le vice-président du syndicat des fabriques d’églises Syfel, Marc Linden, joint par le Land. Parce qu’on trouve que ‘Leo est un type sympa’. » Mais que sur les faits, ce projet de loi et ce qu’il implique, soit la suppression pure et simple des fabriques d’églises, il y avait « un désaveu total de l’archevêché, un refus radical du texte de loi par les membres présents ».
Les représentants des fabriques d’églises se sentent trahis en premier lieu par leur hiérarchie. Parce que l’archevêque Jean-Claude Hollerich, sous la menace d’une question référendaire sur le sujet de la séparation entre l’État et l’Église catholique, signa, en janvier 2015, la convention élaborée avec le Premier ministre et ministre des cultes, Xavier Bettel (DP), qui implique l’abolition de l’enseignement religieux dans les écoles, la réforme du modèle de subventionnement public de l’Église et donc, surtout, cette restructuration des droits de propriété des quelque 500 (ou peut-être même 600 ?) lieux de culte à travers le pays. Ils sont surtout furieux, souligne Marc Linden, de n’avoir, à aucun moment, été impliqués dans l’élaboration du texte, ni par leur hiérarchie, ni ne serait-ce qu’entendus par le ministre. Aujourd’hui, à quatre mois de l’échéance fatidique du 1er janvier 2017, lorsque la loi est censée entrer en vigueur, et que, selon les vœux du ministre, les fabriques d’églises seront purement et simplement abolies, les centaines de bénévoles qui servent le culte catholique au quotidien – le Syfel estime qu’ils sont au moins 1 500 – sont perplexes. Comment a-t-on pu en arriver là ? Leo Wagener avait beau s’empresser de les remercier et de leur promettre d’être intégrés dans les structures décentralisées du futur Fonds de gestion du patrimoine du culte catholique, ils se sentent néanmoins abandonnés par leurs chefs. La convention avait été négociée par le précédent vicaire général, Erny Gillen, qui a démissionné en février 2015, et beaucoup y voient clairement sa signature. Leo Wagener doit maintenant tirer les marrons du feu et a pour cela eu une douzaine de réunions avec le ministère. D’un projet jugé inacceptable (« nous avons signé la convention avec les poings dans les poches »), il a pu tirer le meilleur résultat possible, estima-t-il vendredi devant la presse, même s’il reste deux points toujours difficiles pour l’Église (l’interdiction faite aux communes de soutenir financièrement les édifices appartenant au Fonds et l’obligation pour le Fonds de payer un loyer pour pouvoir utiliser les églises qui appartiendront aux communes, même si ce loyer ne se situera qu’entre mille et 2 500 euros annuels). « Mais au point où nous en sommes, jugea-t-il, aucun des deux côtés ne bougera plus ».
Droits de propriété opaques « Nous voulons ramener les biens de l’Église à qui ils appartiennent, à savoir à l’Église » est la devise de Dan Kersch, qu’il répéta plusieurs fois lors de la présentation du projet de loi adopté en conseil des ministres le 29 juillet. Convaincu que les fabriques d’églises, fondées sous le règne napoléonien, par le décret impérial du 30 décembre 1809, ont un statut équivalent à celui, moderne, de l’établissement public, il veut en abolir purement et simplement l’existence en abrogeant ledit décret. Les intéressées doutent de cette interprétation et se demandent comment l’État peut mettre en cause jusqu’à leur fondement. Avec le texte, il sera institué un Fonds qui sera une « fabrique d’églises unique sur le plan national » comme le définit Dan Kersch dans sa circulaire n°3393 envoyée le 9 août aux communes. Un Fonds, dont la perspective sera « une gestion plus rationnelle des charges et des actifs faisant partie du patrimoine matériel de l’Église catholique du Luxembourg et un large désengagement des communes » écrit encore le ministre. Or, en abolissant les entités juridiques des fabriques d’églises, le législateur devra aussi régler ce qui adviendra de leurs propriétés : les églises, chapelles, presbytères et tout le parc immobilier (maisons et terrains, bois ou champs légués par des croyants), voire même le mobilier qui sont entre les mains des fabriques d’églises, dont certaines sont très riches, d’autres très pauvres. Surtout, beaucoup de ces droits de propriété ne sont pas clairs. Le grand mérite de cette réforme sera de forcer une clarification des droits.
Le projet de loi essaie de prévoir tous les cas de figure qui peuvent se présenter sur le terrain : si les droits sont clairs, le bâtiment sera soit propriété de l’Église, si le titre de propriété est au nom de la fabrique, soit de la commune, si tel est la définition de l’acte. Par sa circulaire, le ministre enjoint les communes à transmettre ces titres de propriété clairs jusqu’au 1er octobre de cette année à son administration. Car la liste de tous les édifices sera reprise dans les annexes de la loi. S’il n’y a pas de titre de propriété clair, les communes sont invitées à négocier un accord avec la ou les fabriques d’églises locales et d’en transmettre la décision au ministère. Si aucun accord n’est trouvé ou communiqué, les édifices tomberont de plein droit dans le giron du Fonds. Les immeubles qui sont déjà désaffectés et pour lesquels il n’y a ni titre clair, ni d’accord, tomberont de plein droit à la commune. Sur une période de dix ans suivant l’entrée en vigueur de la loi, des modifications des droits de propriétés seront encore possibles, impliquant une rétrocession avec remboursement des frais d’investissement non amortis à l’une ou l’autre partie. Selon Leo Wagener, 70 pour cent des cas ne sont pas encore clairs à l’heure actuelle. En tous les cas, le propriétaire, quel qu’il soit, sera tenu à respecter la dignité des lieux et l’Église aura le droit de revendiquer l’utilisation des édifices qui seront du domaine communal, si ces églises sont nécessaires à l’exécution de sa « mission pastorale » (si l’Archevêché parla au début de 35 églises nécessaires à cette mission, se souvient le ministre, ce chiffre aurait constamment été revu à la hausse). Les deux parcs immobiliers seront clairement séparés ; la commune ne pourra plus financer d’aucune manière les édifices appartenant au Fonds1. Par contre, si l’édifice appartient à la commune, elle sera en charge de son entretien et ne pourra le désaffecter qu’avec l’accord de l’archevêque. Elle le mettra à disposition du culte catholique sur base d’une convention avec le Fonds et contre payement d’un modeste loyer. La main publique aura un droit de préemption sur les immeubles religieux que le Fonds voudra vendre.
Le Fonds de gestion du patrimoine du culte catholique porte bien son nom. Comme ses homonymes, le Fonds d’urbanisation et d’aménagement du Kirchberg, le Fonds vieille ville ou le Fonds Belval, sa mission sera avant tout celle d’une gestion « en bon père de famille » des propriétés foncières qui deviendront les siennes d’ici au 1er janvier. Suite à ce qui pourrait être défini comme un gigantesque remembrement sur le plan national – même si le ministre estime qu’on ne peut pas parler d’expropriation, puisqu’il s’agirait déjà d’entités publiques, suivant son interprétation des fabriques d’églises comme établissements publiques –, ce Fonds, dont la création et la gestion incombent à l’archevêché, qui en écrira les statuts et nommera les administrateurs, sera immensément riche. Parce qu’il aura certes à sa charge des centaines d’églises à entretenir et qui ne pourront être vendues qu’avec l’accord du ministère, mais surtout parce qu’il deviendra aussi propriétaire des centaines d’hectares de terrain, champs ou forêts, et des centaines d’autres immeubles éparpillés aujourd’hui entre ces 285 fabriques d’églises, et dont les droits de propriétés seront clarifiés par la même occasion (bien qu’ils ne seront pas listés dans les annexes de la loi). Ces terrains et immeubles ne seront pas inaliénables, c’est-à-dire que le Fonds pourra en faire ce qu’il veut, y compris de vastes opérations immobilières, répondit le ministre à une question du Land vendredi. Les sommes ainsi engrangées serviront à financer l’entretien des édifices religieux et de leur contenu (orgues et œuvres d’art), le bon fonctionnement des services religieux et, rien ne l’exclut, le payement des salaires de tous les employés laïcs de l’Église catholique. (La loi exclut seulement le payement des salaires du clergé avec l’argent du Fonds.) Mais entretemps, l’archevêché occupe plus de personnel laïc que de clergé : sur les 270 salariés évoqués dans son bilan de 2015, 98 furent membres du clergé et presque le double, 172, des laïcs. Cela pourrait expliquer la volonté de l’archevêché de trouver un accord avec le ministre, qui a, en plus, concédé la possibilité d’une garantie d’État pouvant aller jusqu’à quinze millions d’euros pour un emprunt à contracter par le Fonds pour se lancer. Aux bénévoles au niveau local, l’Église promet, dans une présentation Power Point communiquée durant des réunions régionales qui ont eu lieu en automne dernier, une implication décentralisée dans les structures locales du futur Fonds. Néanmoins, la vraie gestion de ce parc immobilier sera faite au jour le jour par le conseil d’administration, qui dépendra de l’archevêché. Les fabriques d’églises ne se trompent donc pas en voulant surtout se battre sur la question de ce qu’ils considèrent être une expropriation, réfléchissant actuellement à des actions en justice sur ce point spécifique.
Symboliques et urgence Dan Kersch, lui, veut surtout aller vite. Il sait que ce projet d’une « transmission sur la plan local de la séparation entre l’État et les églises » comme le définit Leo Wagener, sera son grand œuvre symbolique. Réputé à gauche du LSAP, il veut poser un symbole, entrer dans l’histoire comme celui qui aura mis la lumière dans un parc immobilier jugé opaque. Le vicaire général affirma qu’il s’agissait avant tout de la volonté du ministre et du parti socialiste, qui ne serait pas portée avec le même enthousiasme par les deux autres partis de la coalition. Le Syfel va même jusqu’à reprocher un certain « fanatisme » à Dan Kersch. Qui veut passer les étapes législatives au grand galop, demander l’urgence auprès du Conseil d’État pour avoir un avis aussi rapidement que possible et faire voter le texte d’ici décembre. Dans son avis sur le texte de la Convention de janvier 2015, le Conseil d’État avait déjà remarqué qu’il s’agissait surtout d’un projet politique. Il est donc naturel aussi que Aha, l’association des athées, humanistes et agnostiques, applaudisse des deux mains et que le CSV, très critique sur ce texte, évoque déjà de l’abolir lorsqu’il sera revenu au pouvoir.