Livre d’art

L’aluminium porteur d’immédiateté

d'Lëtzebuerger Land vom 15.09.2017

Cela fait remonter une vingtaine d’années en arrière. C’est en 1996 que Michel Majerus, à Berlin, prit des panneaux d’aluminium comme support. Au long de l’année en cours, ses galeristes s’en sont souvenus, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique : à la Matthew Marks Gallery, New York, et bien sûr Gallerie neugerriemschneider, Berlin. Et pour tous ceux qui n’y ont pas été, il reste aujourd’hui le regard dans le catalogue qui vient de paraître, livre d’art à la couverture rouge vif, avec de légères traces ou traînées de couleur, et à droite, tout en bas, il s’ouvre comme une fenêtre, et le personnage si cher à notre peintre, Mario, qui est saisi dans un saut, comme s’il sortait, avec légèreté, avec entrain, de la peinture. Ce mouvement double, opposé, inverse, la vie dans toutes ses expressions reprise par la peinture, celle-ci s’ouvrant à son tour, occupant l’espace.

Le catalogue est introduit par un texte de Jan Tumlir, situant d’abord Michel Majerus dans son temps, « epochaler Wendepunkt », après les bouleversements de la fin des années 80. Et Michel Majerus, n’hésitant devant aucune appropriation, des maîtres contemporains aux témoignages de la culture populaire, d’ouvrir alors, voire d’enfoncer des portes vers quelque chose de nouveau. Avec une conscience aigüe du temps toutefois, ce n’est pas pour rien qu’on cite toujours cette phrase de l’artiste : « What looks good today, may not look good tomorrow ». Il faut alors aller droit au paradoxe, à savoir pourquoi les peintures de Michel Majerus continuent « to look good », à nous parler, à nous saisir. Dans un monde qui a énormément changé, en tout cas perdu un élan qui existait naguère.

Les peintures sur aluminium ne s’y prêtent pas mal ; car elles offrent une grande fraîcheur, qu’elles ont gardée intacte, une immédiateté où le support a sa part : une surface lisse, sans profondeur, à l’opposé de la toile, caractère accentué encore par les couches de laque qui y sont mises. Ce qu’il peut y avoir de rude, et rend compte de la provenance industrielle, se trouve aux bords, visible de biais. Michel Majerus a donc utilisé les premiers panneaux en 1996, dans une douzaine de peintures monochromes avec justement comme sur la couverture du catalogue, cette image, qui varie, en bas à droite. À l’époque, les panneaux étaient accrochés les uns verticalement, les autres horizontalement, tous de format 125x250 cm. Même format, mais toujours vertical, pour des panneaux qui suivent, en 2000, peintures plus variées, avec une part plus grande faite également à l’écriture, à cette typographie si caractéristique. Et le célèbre enjoignement : « Fuck the artist ».

Au fil des pages, dans le catalogue, on tombe après les premiers panneaux, sur une photo de l’exposition du Mudam, c’était en 2006, avec une peinture sur aluminium qui se trouve posée par terre, trois bandes colorées, du rouge, du jaune, du bleu, et à l’arrière-fond des toiles du MoM Block en collaboration avec Basquiat. Les formats sont devenus de plus en plus grands, des éléments se sont détachés, aboutissant à des compositions plus complexes, des fois très enjouées, comme sur des dimensions allant jusqu’à quatorze mètres de largeur dans une installation à la gare de Munich en 1998. Si là on reste sur un mur, ailleurs, c’est carrément dans l’espace que l’art se livre, et livre au visiteur un véritable environnement.

Pour reprendre l’interrogation de tout à l’heure, retour au texte de Jan Tumlir et l’intéressant passage qui met en parallèle/oppose Michel Majerus et Martin Kippenberger. Leur est commun, « wie Kippenberger trübt Majerus absichtlich die Gewässer malerischer Seriosität » ; cependant, « Majerus [...] öffnet den Weg zu einer narbenlosen Vorstellung von der Zukunft [...] Die Narben sind geheilt, weil alles jetzt kindlicher ist [...] »

D’autres textes, de compagnons de route, d’amis de Michel Majerus comme Thomas Demand, Laura Owens, Jorge Pardo, Jordan Wolfson, Christopher Wool, ajoutent une note très personnelle, plus intime. À chacun, un point de vue, dont l’ensemble retrace un portrait qui retient par tant de facettes. Dont on retiendra, toujours pour répondre à la question qui importe, le jugement de Thomas Demand, ajoutant après avoir souligné la maîtrise de Michel Majerus, « diese Naivität und Offenheit lässt seine Arbeit vielleicht so unverbraucht wirken ». Rien à ajouter de plus.

Lucien Kayser
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